L’ÉVEIL CULTUREL DÈS LA NAISSANCE ?


INTRODUCTION

Emmanuel Devouche et Maya Gratier collaborent depuis 2001. Tous deux travaillent sur les formes d’interactions sociales dans la première année de la vie, la communication précoce qui s’instaure entre l’enfant et les parents dès les premiers jours de vie. Le babil par exemple, premières vocalisations du bébé qui pourraient peut-être déjà constituer un langage.

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SENS ET MULTI SENSORIALITÉ IN UTERO ET À LA NAISSANCE

Avant la naissance, le bébé est déjà éveillé au niveau sensoriel. Cet éveil débute à la 28e semaine de grossesse : le fœtus a l’expérience de son corps, il est capable de percevoir avec plusieurs sens et est en mesure d’apprendre. Il associe des sons à des mouvements, il suce son pouce, il touche son propre corps. Il a par ailleurs une forte sensibilité rythmique (il perçoit le rythme cardiaque de sa mère et celui de la marche).

À la naissance, le bébé manifeste un intérêt majeur pour les visages, les sons, le mouvement : il est motivé pour entrer en contact avec autrui. Lorsqu’il est en état d’éveil, il s’oriente vers les êtres humains. Il reconnaît la voix de sa mère, qui le relie au monde, et lui associe une odeur, un visage. En revanche, les objets ne l’intéressent pas : la richesse de l’humain satisfait largement sa curiosité. Cet intérêt fonctionne parce que l’adulte s’y adapte en retour : celui-ci est plus précautionneux, ses mouvements se font plus lents, sa voix plus douce. Il exprime ainsi sa volonté d’entrer en contact avec le nouveau-né.

En filmant des bébés de deux ou trois jours en maternité, Emmanuel Devouche et Maya Gratier ont constaté qu’ils s’ajustaient déjà au discours de leur mère : ils émettent des sons peu audibles qui arrivent souvent après une question qu’elle lui pose. Les bébés sont des auditeurs extraordinaires, capables d’écouter, de discriminer (différents chants d’oiseau par exemple), beaucoup mieux que les adultes qui ont développé des filtres qui les empêchent de percevoir toutes ces nuances. Les nouveau-nés peuvent aussi entendre toutes les langues, tous les phonèmes, et percevoir des sons langagiers que les adultes, eux, n’entendent plus.

Le bébé naît ainsi avec une prédisposition pour le contact social. Il comprend comment entrer en relation avec quelqu’un et faire en sorte que ce contact dure. Il est même capable d’imiter des expressions faciales, comme tirer la langue, et de relancer ce type de dialogue non verbal si l’adulte s’arrête. Sans cette histoire préverbale, le langage serait impossible

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VERS L’ÂGE DE 2 MOIS

Cette intersubjectivité primaire se transforme progressivement. Vers deux mois un changement majeur intervient dans le développement du bébé avec l’émergence du sourire, qui n’est plus un sourire réflexe mais qui va acquérir une dimension véritablement sociale. Un dialogue va se mettre en place où la « parole » est prise à tour de rôle, dans des proto-conversations. On assiste alors à une explosion de la production verbale : les vocalisations, le fameux « areuh » sont de vraies mélodies qui enchantent les adultes. Le bébé est attentif à la voix chantante qu’adopte l’adulte et les dialogues durent plus longtemps. La communication reste centrée sur le visage, dans un face-à-face entre le bébé et l’adulte.

La répétition de certains rituels comme le change, le bain, les repas, crée des routines de communication, des scénarios avec un début, un développement et une fin. À l’aide de vidéos tournées au domicile de parents, les chercheurs ont pu constater :

  • La mise en place d’un rythme commun, avec un tempo plus marqué dans le langage lorsque le père ou la mère s’adresse au bébé. Celui-ci répond sur le temps, comme le font les musiciens de jazz.
  • Des correspondances entre les contours mélodiques dans les dialogues parent-bébé. Ceux-ci sont très musicaux et les parents vont exagérer et prolonger certains sons.

Les bébés sont en mesure d’interagir ainsi au bout de deux mois car ils sont devenus capables d’anticiper. On le remarque par exemple lorsque l’on se penche vers un bébé de cet âge pour le prendre dans les bras : il se prépare à être pris en modifiant son tonus.

Dans les années quatre-vingt, une expérience a été menée au cours de laquelle on a séparé un bébé de sa mère ou de son père dans deux pièces distinctes, en maintenant toutefois une communication à distance par un système de vidéos interposées. Si l’on décalait de quelques secondes la réponse du parent à l’enfant, celui-ci se montrait perplexe. Et, si on lui montrait la même réponse à plusieurs reprises, le bébé détournait le regard et se tenait, signes qu’il était stressé.

Au niveau vocal, on observe chez les bébés une forme de narrativité sans parole. Quand les parents parlent à leurs bébés, ils racontent verbalement des histoires ou chantent des comptines structurées par un début, un climax et une fin. A travers la voix de sa mère, ses intonations (et non le sens des mots), le bébé perçoit la création d’une ligne de tension dramatique. Ces petits récits constituent des indices prosodiques importants. Le fait de parler au bébé avec beaucoup de musicalité l’aide à se focaliser, à réguler ses émotions et favorise la perception d’unités linguistiques pertinentes. La voix enveloppe l’activité du bébé et s’adapte, microseconde par microseconde, à ses mouvements.

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 en savoir plus sur le Langage Adressé aux Bébés (LAB) :

 

 

ÉVOLUTION JUSQU’À L’ÂGE DE 6 MOIS

A six mois, on entre dans une phase d’intersubjectivité secondaire : une période d’ouverture au monde pour le bébé qui va s’intéresser aux objets en relation avec quelqu’un. Il est motivé par l’émotion du partage et non pas par la chose en tant que telle. Cette intersubjectivité fait appel à des compétences rythmiques, temporelles qui permettent l’anticipation des gestes.

L’exemple de la comptine « les petites marionnettes » à trois puis six mois 

On constate ici, qu’entre trois et six mois, le bébé s’est approprié la comptine, il l’anticipe. Il a progressé dans ses capacités et son autonomie posturales. L’adulte est aussi devenu le support de l’attention, il n’en est plus seulement l’objet : une triangulation est apparue. À six mois le bébé est plus actif et il anticipe. La mère quant à elle chante différemment, elle marque le tempo, accentue les fins de phrases, autant d’indices de clôture. Le bébé vocalise à des moments importants : lorsque les mouvements s’arrêtent, il est clairement en attente de la disparition des mains.

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CONCLUSION : LE BÉBÉ VEUT COMPRENDRE AVEC LES AUTRES LE MONDE DANS LEQUEL IL VIT

Quand le bébé est en présence de quelqu’un qu’il connaît, il cherche à participer. Si l’adulte démarre un jeu puis s’arrête comme s’il en avait oublié les règles, le bébé de six mois aura l’air étonné, il tentera d’aider l’adulte à s’en souvenir puis finalement jouera seul. À neuf mois, le bébé veut comprendre le monde dans lequel il vit par la médiation des autres, il veut devenir complice avec des experts qui sont déjà « dans » la culture, il éprouve de la fierté à partager. Sans cette base, le langage ne pourra pas fonctionner.

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QUESTIONS DU PUBLIC

On constate qu’à la base de tout cela, il y a le désir d’imiter, de prendre, d’attraper.

Emmanuel Devouche : l’imitation est un mécanisme d’apprentissage et d’identification. Si les parents du bébé vont mal, le bébé se développera en s’adaptant. Mais bien sûr, la perturbation de l’interaction aura un impact important.

Maya Gratier : dans le domaine de l’autisme, on a posé l’hypothèse que les bébés à devenir autistique imitaient moins que les autres, qu’ils possédaient moins cette pulsion. Avec les adolescents, une piste thérapeutique consiste à développer une communication qui passe par l’imitation intensive.

 

Que faire en crèche avec les contraintes qui lui sont propres ? 

Maya Gratier : il n’est pas nécessaire de vouloir « en faire beaucoup ». Aujourd’hui on s’interroge beaucoup pour savoir comment s’y prendre pour que nos enfants soient intelligents. Il faut surtout les écouter. Nous sommes allés filmer en crèche et, en écoutant les bébés, nous nous sommes aperçus qu’ils étaient constamment en train de se répondre. Ce qui est plus inquiétant, ce sont les programmes pour stimuler les bébés et les enfants à tout prix.

Emmanuel Devouche : les familles, comme les lieux d’accueil, ont aussi leurs contraintes. Il faut savoir saisir les opportunités d’échange de qualité. Le change ou le coucher par exemple sont des moments propices à la création de rituels. Il faut savoir préserver ces moments ; pour le reste, le bébé s’adapte.

 

Comment prendre le temps de partager ? 

Maya Gratier : pour partager, il faut prendre le temps, être dans le moment présent.

Emmanuel Devouche : la culture est avant tout personnelle, individuelle. Elle relève d’un échange personnel. L’expérience culturelle est intersubjective.

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LIRE LA SUITE DE LA RESTITUTION DU MERCREDI 16 NOVEMBRE :

L’ÉVEIL CULTUREL DES TOUT-PETITS : LE STATUT ET LA PLACE DE L’ADULTE