Journées professionnelles 2014
Les 19, 20 et 21 novembre 2014, Cinémas 93 organisait la deuxième édition de ses Journées professionnelles au Ciné 104 à Pantin. Comme l’année précédente, ces journées de réflexion, de rencontres et d’échanges étaient dédiées aux enjeux de l’éducation au cinéma et aux images. Elles se sont articulées en 4 temps.
Les tout petits vont au cinéma : la place de la parole
En partenariat avec Cinéma Public
Cinéma Public fédère des salles du Val-de-Marne, coordonne le dispositif Collège au cinéma et organise depuis 25 ans le festival jeune public Ciné Junior.
Lors d’un premier rendez-vous, l’an passé, nous nous sommes interrogés sur les capacités de perception et le développement cognitif des tout petits (2-5 ans), puis sur les choix de programmation et l’accompagnement en salle de cinéma. En 2014, nous avons abordé la place de la parole : celle qui anime les œuvres, celle qui accompagne la sortie culturelle, celle de l’enfant qui verbalise ses émotions.
Petite enfance et construction de la langue orale Par Evelio Cabrejo Parra
Evelio Cabrejo Parra est psycholinguiste, enseignant à l’Université de Paris VII, vice-président d’ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations). Il a collaboré, entre autres publications, à l’ouvrage Langage et activités psychiques de l’enfant avec René Diatkine (2004, éd. Papyrus) et publié « Le bébé est un linguiste qui s’ignore » in Premiers récits Premières conquêtes (2008, éd. ACCES).
Conférence à découvrir en vidéos
Projection en avant-première La Petite Fabrique des mots
Programme très jeune public conçu par l’AFCA, Cinéma Public, Cinémas 93, Enfance au cinéma et Ecran VO.
Projection en présence des associations et de Marielle Bernaudeau, conceptrice et animatrice d’ateliers et de formations autour de l’image et auteur du dossier pédagogique sur le programme.
Description du programme :
« Venez écouter et entendre résonner la petite musique des mots : qu’ils soient chantés, lus, écrits ou racontés ! Leur ritournelle entraînante vous contera de belles histoires mises en mots et en images par de talentueux réalisateurs et illustrateurs jeunesse. »
Trois Petits Chats – Guy Delisle / Animation / France / 2 min / 1993
Le Noyau de mangue – Hélène Ducrocq / Animation / France / 4 min / 20
Dudu – Betty Bone / Animation / France / 7 min / 2006
La Promenade d’un distrait (La Passegiatta di un distratto)- Béatrice Alemagna / Animation / France 7 min / 2005
Mille-pattes et Crapaud- Anna Khmelevskaya / Animation / France / 10 min / 2013
Trois Petits Chats – Guy Delisle / Animation / France / 2 min / 19
Rencontre avec Marie-Noëlle Clément « Parler des images avec les tout petits »
Animée par Véronique Soulé
Bibliothécaire de formation, Véronique Soulé a été responsable de Livres au trésor, centre de ressources en Seine-Saint-Denis.
Marie-Noëlle Clément est psychiatre, psychothérapeute, directrice de l’hôpital de jour pour enfants du CEREP-PHYMENTIN (Paris X). Elle travaille sur les relations enfants/écrans aux côtés du Dr Serge Tisseron. Dans cette perspective, elle a étudié l’impact émotionnel des images violentes chez les enfants et les adolescents et travaille actuellement sur l’utilisation du jeu de rôle dans la gestion des effets des images chez les plus jeunes grâce au dispositif du Jeu des Trois Figures.
En guise d’introduction, Marie-Noëlle Clément rappelle que les repères narratifs spatio-temporels (« où cela se passe-t-il ? », « ici ou ailleurs ? », « à quel moment ? ») ne s’installent pas avant trois ans. Avant cet âge, il est difficile pour l’enfant de se repérer dans une narration. Même s’il est pris par de belles images, par un rythme, le fait de ne pas comprendre peut le mettre en situation d’insécurité. Le très jeune enfant apprécie de voir des DVD à la maison : c’est un espace sécurisant, un endroit qu’il connaît, on peut arrêter le DVD et revenir sur certaines séances.
Le noir dans la salle de cinéma, le grand écran, le son plus fort, tout ce dispositif est impressionnant pour les tout petits, de même que le fait que le film se déroule sans que l’on puisse s’y soustraire. Mais, si ces séances au cinéma sont accompagnées et l’enfant mis en sécurité, tout se passe très bien. La séance au cinéma constitue alors un rituel initiatique auquel il est bon de donner toute sa valeur. Il convient de bien la préparer pour permettre à l’enfant d’avoir des repères dans la salle et le préparer à ce qu’il va voir, quitte à lui raconter le film avant la projection. Il est également important que l’enfant puisse parler pendant la projection afin de raccrocher le fil narratif si besoin. Par ailleurs, les petits enfants ont besoin de bouger devant les images qu’ils voient. C’est une manière de se les approprier. Il est très difficile de contenir cette motricité dont ils ont vraiment besoin et qui est un mode symbolisation et d’appropriation par le corps de ce que l’enfant est en train de vivre. L’appropriation par la parole vient plus tard.
Quels films privilégier ? Sur quel support ?
Entre trois et six ans, le niveau de langage n’est pas équivalent selon les enfants. Pour laisser le moins d’enfants possible au bord du chemin, les films les plus visuels, comme les films muets de courte durée, sont les plus adaptés. Les burlesques notamment conviennent très bien aux petits sur le plan de la motricité.
La parole après un film…
Il est indispensable de proposer aux enfants de parler tout comme il est important que les adultes s’expriment sur leur ressenti, leurs émotions : quand on est dans une salle de cinéma, on est dans un bain commun. Ensuite, après avoir libéré cette émotion, on peut s’attaquer à la question de la compréhension. Ce sera l’occasion de rappeler que chaque regard sur une œuvre est singulier et que, lorsque le réalisateur fabrique un film, il pose son regard à lui. Tout film est au croisement d’une technique et d’une singularité.
Quelle différence entre le film qu’on voit à la télévision et le film que l’on choisit de voir au cinéma ?
Il est toujours important de ritualiser le film qu’on regarde en famille. C’est bien d’accompagner son enfant la première fois qu’il voit un film, même à la maison. Les enfants ont en outre le désir de revoir quinze fois le même film. Il faut les laisser faire car cela correspond à leur façon de s’approprier une forme narrative. Sur ce point, il faut rappeler que l’attachement particulier pour un film ou une séquence peut être tout à fait indépendant de sa qualité.
Concernant les programmes télévisés pour la jeunesse, il faut noter qu’ils sont le plus souvent pris en cours de route et la plupart des enfants continuent à les regarder par attraction de l’écran, sans toujours pouvoir y mettre du sens. Ces fictions des chaînes jeunesse sont pour la plupart stéréotypées. Pour essayer de retrouver des repères, l’enfant va s’attacher à un personnage, le plus proche de lui, la plupart du temps une victime ou un agresseur. Il y a là le risque de figer des identifications précoces et que les enfants ne parviennent pas à embrasser la complexité des personnages.
Plusieurs professionnels présents dans la salle ont vivement réagi à l’intervention de Marie-Noëlle Clément en rappelant le plaisir de certains enfants devant des images animées qui n’appellent pas en premier lieu de compréhension d’une intrigue. Certains affectionnent par exemple des films de langue anglaise, où les chansons et les chorégraphies prennent le pas sur l’intrigue (Chantons sous la pluie). D’autres sont sensibles à des films qui expérimentent le plaisir de la rime et de la ritournelle, comme c’est le cas dans le programme La Petite fabrique des mots, conçu par Cinémas 93, Cinéma Public, Enfance au cinéma et Ecrans VO. Par ailleurs, si un langage élaboré est largement admis dans les albums jeunesse, pourquoi serait-il plus difficile à accepter au cinéma au prétexte que les enfants n’ont pas le même niveau de langage quand ils entrent en maternelle ?
Quels sont les mots des tout petits ? Comment leur parler ? / TABLE RONDE
Une réflexion sur la parole dans les films et dans l’échange avec l’enfant.
En présence de Françoise Anger, Thierry Dilger, Agnès Desfosses, Céline Gardé, Christina Towle, Mathilde Trichet.
Animée par Véronique Soulé.
Présentation des intervenant.e.s
Christina Towle est chorégraphe. Elle anime des ateliers à destination de classes de maternelle et des crèches et travaille avec Mon premier festival. L’enjeu de ses interventions consiste à retracer physiquement ce que les enfants ont vu pour constituer un petit répertoire de mouvements. En 2013, la chorégraphe a créé le spectacle Lune. Elle est actuellement en résidence dans une crèche pour développer un projet avec le soutien du Conseil général de la Seine-Saint-Denis. Il s’agit d’un spectacle en trois volets, le premier en lien avec le cinéma, le second avec le livre et le troisième avec les arts plastiques. Autant de supports pour aller vers la danse. Christina Towle fait remarquer qu’« en danse contemporaine le travail se fait uniquement à partir d’images, d’atmosphères, d’émotions : il ne s’agit pas de faire comprendre la situation mais de stimuler la sensorialité. Ce qui n’empêche pas un langage et une compréhension de s’installer. »
Mixage fou. Thierry Dilger est ingénieur du son et designer sonore. Françoise Anger est responsable des ateliers petite enfance. Avec Mixage fou, ils conçoivent et animent des ateliers autour du son pour les enfants (pour certains dès l’âge de trois mois). L’approche de Mixage fou peut se définir ainsi : fabriquer des espaces sensoriels qui stimulent plusieurs sens à la fois et investir le rapport parents/enfants pour les mettre sur un pied d’égalité. Toutes les informations sur ces ateliers sont consultables sur le site de Mixage fou : www.mixagefou.com
Agnès Desfosses a créé la compagnie ACTA et Premières Rencontres, Biennale européenne en Val-d’Oise autour du spectacle vivant à destination des tout petits. Outre de nombreux spectacles pour le très jeune public, Premières Rencontres propose des temps de réflexion entre les professionnels de la création et ceux de la petite enfance. Agnès Desfosses revient sur l’importance de préparer les tout petits à ces sorties en mettant des mots sur ce qui va être vu (« des clowns », « des danseuses »…). Elle appelle cela des « surprises préparées », qui incluent le trajet, le ticket de métro, parfois aussi importants que le spectacle lui-même. Le partage des émotions et la possibilité pour les tout jeunes spectateurs de bouger, de se blottir dans les bras des accompagnateurs ou encore de parler sont également essentiels.
Ecoutez l’extrait audio de son intervention
Céline Gardé est coordinatrice de l’équipe jeunesse de la Bibliothèque Robert Desnos à Montreuil qui travaille en partenariat avec 438 assistantes maternelles agréées, 27 crèches et 5 PMI. Au-delà des actions menées avec des structures bien identifiées, la bibliothèque organise « L’heure des tout petits », une tranche de lecture le samedi entre 10h et 12h où chacun peut venir librement. Des moments de sensibilisation, de formation ainsi que des journées professionnelles sur des thématiques sont également proposés. Cette année par exemple, la thématique des journées professionnelles était le blanc, comme espace d’imaginaire et de création.
Mathilde Trichet est enseignante en maternelle et intervenante cinéma. Elle participe, avec sa classe de petite section,au dispositif « Mon premier cinéma » coordonné par l’association Enfances au cinéma. Mathilde Trichet rappelle la nécessité de préparer et d’accompagner les trois sorties au cinéma organisées dans l’année.
Ecoutez l’extrait audio de son intervention
Réflexion croisée
Christina Towle a retenu de cet échange la façon dont la perception des enfants, leur utilisation de l’espace peuvent être vécues comme quelque chose à exploiter et non comme une contrainte. « Il faut se mettre en danger et embrasser leur réactivité, que ça devienne un appui plutôt qu’un barrage. »
Mathilde Trichet explique que les plus petits ont du mal à ne pas parler dans une salle de cinéma. Selon elle, il faut mettre en place un rituel associé à la séance : on entre dans un lieu cérémonial, on ne parle pas pendant le film. Les règles du cinéma, mais aussi de la bibliothèque, s’appliqueront toute la vie.
Agnès Desfosses précise que, dans le cadre du spectacle vivant, on a tendance à laisser les très petits s’exprimer. Mais si la pièce requiert une attention soutenue pour percevoir de petits détails, il faut donner les codes aux enfants sous forme de jeu. « Si on sait les introduire, les règles liées à l’imaginaire sont bien acceptées et deviennent une nourriture. »
Thierry Dilger fait remarquer qu’aujourd’hui le cinéma ne s’arrête pas à la salle : « on peut projeter en plein-air, sur une piscine, sur un ballon dirigeable ». Tout en reconnaissant l’exigence que requiert une projection en salle, un cinéma « augmenté », proche du spectacle vivant, permettrait selon lui d’aller dans le sens de l’imaginaire des enfants dans une prise de risque salutaire.
Agnès Desfosses ajoute que ce sont les théâtres qui ont été les plus ouverts au mélange des disciplines artistiques.
Pour Mathilde Trichet, il faut être attentif aux « taiseux » qui, s’ils ne participent pas autant que les autres, peuvent être très impressionnés par les images qu’on leur présente. Agnès Desfosses ajoute que ces images (qui font peur) sont précisément des images essentielles.
Thierry Dilger, dont les ateliers sont centrés sur le son, appelle de ses vœux une véritable éducation à l’écoute, dans la lignée des dispositifs d’éducation à l’image. Les salles de cinéma auraient même un rôle à jouer : éteindre l’écran et écouter permet d’envisager le son dans toute sa complexité, très loin des expériences d‘écoute de mauvaise qualité que l’on fait quotidiennement.
Les effets de l’implantation des multiplexes sur les cinémas publics et associatifs
Les cinémas publics et associatifs face aux multiplexes Restitution de deux études de cas en Seine-Saint-Denis
En 2014, Cinémas 93 a mené deux études portant sur des salles indépendantes confrontées à l’implantation ou à la présence d’un multiplexe à proximité : le cinéma Le Bijou à Noisy-le-Grand et l’Espace Jacques Tati à Tremblay-en-France. Ces deux cinémas disposent chacun de trois salles et bénéficient des trois labels art et essai (« jeune public », « répertoire » et « recherche et découverte »).
En ouverture de la matinée, Vincent Merlin, directeur de Cinémas 93, a rappelé le contexte particulier de la Seine-Saint-Denis en matière d’implantation de salles de cinéma. Le département de la Seine-Saint-Denis compte 25 salles publiques et associatives, gérées soit en régie directe, soit par une association. Le contexte sociodémographique de la Seine-Saint-Denis et les grandes inégalités d’accès à la culture ont motivé des politiques culturelles volontaristes (création ou reprise de salles par les municipalités à la fin des années 1970) qui aujourd’hui encore se traduisent dans le coût moyen du billet, le plus bas en France pour la petite et moyenne exploitation.
Alors qu’aucun nouveau multiplexe n’était apparu en 12 ans, ce sont deux établissements qui ont vu le jour en moins d’un an, occasionnant une augmentation de 28 % du nombre de fauteuils en Seine-Saint-Denis. Ces nouvelles implantations s’inscrivent dans un mouvement plus ample qui touche la région parisienne et en particulier le nord-est francilien. Certains de ces cinémas s’installent également à Paris, à la lisière du département, avec l’ambition de draîner le public de part et d’autre du périphérique. Ces nouvelles implantations ont bien entendu des répercussions sur les cinémas publics et associatifs qui partagent les mêmes territoires. C’est dans cette perspective que les deux études de cas ont été menées.
Le cinéma Le Bijou à Noisy-le-grand
Noisy-le-Grand dispose de deux cinémas implantés à seulement 1,3 km l’un de l’autre : l’UGC Ciné Cité (10 salles), situé dans le centre commercial Les Arcades (desservi par le RER A), et le cinéma municipal Le Bijou (3 salles), situé en centre-ville, inauguré en juin 2008.
Le projet pensé par les élus consistait à ouvrir un établissement grand public, diffusant des films généralistes. Mais ce projet a immédiatement provoqué la réaction d’UGC, installé sur le territoire depuis 1998. La municipalité a finalement choisi de modifier le projet en ouvrant un établissement Art et Essai.
Mais cette décision a-t-elle suffi à différencier l’offre de films proposée par les deux cinémas ? Le cinéma UGC Ciné Cité de Noisy-le-Grand est-il uniquement promoteur d’un cinéma grand public, commercial et largement américain ? Rien de moins évident lorsque l’on sait que c’est justement au niveau de la programmation que les Ciné Cités se démarquent le plus des critiques généralement portées aux multiplexes, avec en particulier une part de la programmation consacrée à des films art et essai et en version originale.
Depuis l’ouverture du Bijou, la fréquentation du cinéma municipal n’a cessé d’augmenter et, si l’on compare l’évolution de la fréquentation du Bijou et de l’UGC Ciné Cité ces deux dernières années, le premier a gagné plus de 20 000 spectateurs alors que le second en a perdu 70 000. Soit des dynamiques inversées. Les bons chiffres du Bijou ne doivent pourtant pas occulter une situation de forte concurrence entre les deux cinémas.
Une intensification de la concurrence
Malgré un nombre de salles inférieur, Le Bijou programme plus de films que l’UGC Ciné-Cité. Mais l’écart s’est sensiblement réduit. Les causes en sont diverses : une augmentation de la multi-programmation du multiplexe, la reprise de films jeune public comme de films du répertoire avec le dispositif Ciné-Culte, des pratiques qui faisaient jusque-là la spécificité d’un cinéma art et essai indépendant tel que Le Bijou. Le nombre de films programmés à la fois au Bijou et à l’UGC représente désormais plus de la moitié de la fréquentation globale du Bijou.
La concurrence sur les films art et essai porteurs
Comme on pourrait s’y attendre, l’UGC Ciné-Cité privilégie globalement les films grand public américains et français, diffusés en VF, alors que Le Bijou offre aux spectateurs une programmation beaucoup plus variée, de qualité, représentant un large panel de la cinématographie mondiale. A titre de comparaison, en 2013, les films art et essai représentent 22,5% des films programmés à l’UGC Ciné Cité et 78% des titres diffusés au Bijou.
L’étude s’attache de façon plus fine à comparer la programmation art et essai des deux cinémas. Il ressort que l’UGC Ciné Cité concentre sa programmation art et essai exclusivement sur les films porteurs ou très porteurs (que le cinéma public programme aussi). Mais, contrairement à la stratégie adoptée par UGC, Le Bijou conserve ses films plus longtemps à l’affiche.
Le Bijou et l’UGC Ciné Cité ont-ils la même facilité d’accès aux films ?
Le Bijou obtient très peu de copies en sortie nationale (elles représentent seulement 21% de la programmation totale des nouveaux films au Bijou). La plupart du temps, Le Bijou obtient les titres en 3ème ou en 4ème semaine.
S’agissant des films art et essai partagés par le cinéma public et le multiplexe, l’accès aux copies est encore plus problématique : aucun des 36 films concernés n’a été diffusé en première semaine au Bijou. Seul l’UGC Ciné Cité obtient systématiquement les films art et essai porteurs en sortie nationale.
La question suivante se pose : concernant ces films art et essai porteurs, Le Bijou est-il condamné à rester une éternelle salle de continuation ? Il n’est en effet pas évident pour le cinéma municipal de 3 salles d’offrir les mêmes garanties d’exposition des films aux distributeurs que le multiplexe.
Le Bijou, la stratégie au long cours
Pour faire face à cette concurrence, le directeur du Bijou a pris un certain nombre de décisions :
– Il a repris en main la programmation en se détachant de l’entente de programmation MicroMega qui en avait la charge auparavant.
– Il a augmenté le nombre annuel de films diffusés (ce qui permet notamment d’établir des liens solides avec les petits distributeurs indépendants).
– Il programme désormais « à la semaine » (un cas unique parmi les cinémas publics ou subventionnés de la Seine-Saint-Denis).
Le jeune public et l’éducation à l’image : un objectif prioritaire
Le jeune public et l’éducation à l’image, au cœur du projet municipal, constituent l‘objectif prioritaire du Bijou. Dans ce contexte, une animatrice jeune publique est salariée à temps plein et les efforts portent leurs fruits puisque le jeune public (scolaires, centres de loisirs et particuliers) représente plus du tiers de la fréquentation globale du cinéma.
Mais le jeune public est également une cible privilégiée pour l’UGC Ciné-Cité. Une tendance qui s’est encore renforcée avec l’application en 2014 de la nouvelle tarification de 4€ pour les moins de 14 ans et, depuis septembre 2012, la reprise de films jeune public qui restait jusque-là l’apanage du Bijou. Toutefois cette concurrence ne concerne pas le public scolaire, un domaine dans lequel Le Bijou reste maître d’œuvre. Et ce malgré la mise en œuvre de la réforme des rythmes éducatifs, à la rentrée 2014, qui a conduit à concentrer la plupart des séances dédiées aux écoles sur la seule matinée.
Les outils de communication
Pour tout ce qui touche à sa communication, Le Bijou dépend du service communication de la municipalité dont les supports ne sont pas adaptés au rythme hebdomadaire de la programmation. Une refonte du site est actuellement en cours car il est devenu, pour beaucoup de spectateurs, le principal outil de communication.
En ce qui concerne l’UGC Ciné Cité, la communication inhérente au cinéma est quasi-inexistante. La marque UGC étant bien installée, aussi bien au niveau local qu’au niveau national, le circuit intégré n’a pas besoin de davantage de visibilité pour exister.
CONCLUSION
Dans un contexte de concurrence frontale, la fréquentation du cinéma Le Bijou n’a cessé d’augmenter depuis son inauguration en 2008 et devrait dépasser les 100 000 entrées en 2014. Pour autant, l’accès aux films art et essai porteurs reste l’une des grandes problématiques pour le cinéma municipal. En effet, ce sont les films de cette catégorie qui cristallisent les tensions entre les deux concurrents. Le public de Noisy-le-Grand est un peu plus âgé et surtout plus aisé que dans le reste de la Seine-Saint-Denis. Il est friand de ce type de films. La concurrence entre les deux cinémas est d’autant plus forte que l’UGC propose une offre de plus en plus diversifiée avec plusieurs copies d’un même film, en VO et en VF, voire en 2D et en 3D, afin d’attirer dès la première semaine tous types de publics. Ses 10 salles lui assurent une flexibilité dont ne dispose pas Le Bijou.
Pour faire front, celui-ci peut compter sur l’appui de la municipalité qui met en avant le cinéma et son action dans son projet culturel. Toutefois, l’équipe de direction du Bijou demeure restreinte au vu des efforts déployés pour garder le cinéma public ouvert 7 jours sur 7, toute l’année. La programmation d’une large palette de films, les projections événementielles et le travail accompli auprès du jeune public requièrent une énergie de chaque instant. Ce sont ces initiatives qui participent de la singularité du cinéma de service public face au multiplexe.
Le cinéma Jacques Tati à Tremblay-en-France
Préambule
Cette étude réalisée à Tremblay-en-France est menée en temps réel. Elle s’efforce de rendre compte des effets immédiats de l’implantation d’un multiplexe sur un cinéma associatif subventionné. Elle vise en particulier à mettre en lumière, au fil des mois, l’évolution des pratiques de l’exploitant indépendant, confronté à une nouvelle concurrence.
Mais les limites de cette étude tiennent au fait qu’elle s’écrit justement au présent, sur les premiers mois d’existence du multiplexe. Il semble donc indispensable de poursuivre l’observation sur un temps plus long afin de tirer des enseignements pertinents.
Du monopole…
Tremblay-en-France est la ville de Seine-Saint-Denis dont la superficie est la plus importante, mais elle ne compte que 34 000 habitants. Jusqu’en novembre 2013, elle ne comptait qu’un seul cinéma, le Jacques Tati, géré par l’association tremblaysienne pour le cinéma et soutenu par la municipalité. Il est avec Le Méliès, à Montreuil, le cinéma indépendant le plus fréquenté du département.
En 2013, 66 % des films diffusés au cinéma Jacques Tati étaient art et essai, mais ne représentaient que 39 % de sa fréquentation. En effet, le cinéma programme également de nombreux films grands publics, comédies, blockbusters US en VO comme en VF, qu’il parvient ou parvenait le plus souvent à obtenir en sortie nationale du fait de sa situation de monopole.
… à la cohabitation.
En novembre 2013, le premier multiplexe de Luc Besson, EuropaCorp Aéroville, implanté à 8km du cinéma associatif, ébranle la situation de monopole du cinéma Jacques Tati. L’accès aux films porteurs constitue aujourd’hui l’une des principales préoccupations. Le risque est fort de ne plus obtenir les copies en sortie nationale et les relations avec les distributeurs sont susceptibles de se tendre.
Le cas de Tremblay-en-France pourrait bien être symptomatique d’une situation qui tend à se répandre en France : la perte de monopole d’un cinéma indépendant, au sein d’une ville moyenne et la cohabitation avec un complexe ou un multiplexe dont il importe de mesurer l’impact en termes d’accès aux films et de fréquentation.
Encore faut-il se demander si EuropaCorp Aéroville est vraiment représentatif des multiplexes actuels ?
EuropaCorp Aéroville : un multiplexe « nouvelle génération » ?
EuropaCorp a été choisie par le promoteur Unibail Rodamco (qui détient déjà le Carré Sénart, Rosny 2 ou encore le Forum des Halles) pour créer un cinéma « nouvelle génération », au sein d’un centre commercial de luxe et dont les caractéristiques seraient :
- L’immersion totale du spectateur, par l’aménagement, le confort et la qualité de projection, avec les fameuses salles First qui offrent une soirée privilégiée aux spectateurs à un tarif de 25€.
- Un lieu de divertissement intégral avec en particulier :
- une programmation misant sur l’événementiel avec une salle dédiée à la retransmission de spectacles vivants et de manifestations sportives,
- une boutique-librairie où la marque EuropaCorp prédomine
- Enfin, le principe de plaisir collectif (petite restauration, salles VIP privatisables…).
EuropaCorp Aéroville : échec ou succès ?
Les résultats en terme de fréquentation sont mitigés. Après quelques mois décevants, la courbe s’est cependant redressée à la faveur de l’été 2014, puis avec l’ouverture du centre commercial le dimanche. Toutefois les spectateurs ne sont pas les cadres aisés attendus par EuropaCorp, mais plutôt des personnes aux revenus modestes qui dépensent très peu au-delà de la place de cinéma. Or ces spectateurs sont justement ceux qui, jusque-là, venaient découvrir les dernières nouveautés au cinéma Jacques Tati.
Dès l’ouverture du multiplexe, on a constaté un impact sur la fréquentation du cinéma associatif. Luigi Magri, son directeur, estime à 15 % la perte de fréquentation directement imputable au nouveau contexte de concurrence depuis le début de l’année 2014 : « La donne a changé. Les grands distributeurs sont moins conciliants qu’avant avec le cinéma Jacques Tati, qui a dû renoncer à certaines sorties nationales. »
Cette concurrence va forcément obliger le cinéma Jacques Tati à modifier son fonctionnement : doit-il maintenir une programmation généraliste ou se replier de façon préférentielle sur l’art et essai? Comment trouver de la souplesse dans la programmation quand celle-ci est conçue chaque mois, très en amont ? Le cinéma peut-il encore fermer quelques semaines chaque été avec le risque que le public s’oriente vers le multiplexe et y prenne ses habitudes ?
De nouvelles stratégies de différenciation
Face à la concurrence des multiplexes et en particulier l’inégalité d’accès aux films, il s’agit également de développer de nouvelles stratégies pour attirer et fidéliser le public. De nouvelles formes d’interactions avec le public sont recherchées, tout en veillant à se différencier de l’impersonnalité des multiplexes :
Le film surprise : une plage horaire est dédiée chaque jour à un film surprise choisi par les spectateurs à partir d’une première sélection faite par l’équipe de programmation. Ce dispositif permet de pallier les éventuelles lacunes lorsqu’un distributeur a refusé une copie en sortie nationale, mais les résultats les plus probants tiennent à la continuation de films déjà programmés et plébiscités.
Des entretiens par skype à l’expérience collective 9-3 connectés
Luigi Magri a été, en Seine-Saint-Denis, le premier exploitant à expérimenter, puis à utiliser de façon régulière l’outil skype pour s’entretenir avec des réalisateurs. Ces échanges à distance peuvent créer des moments d’exception lorsque, par exemple, le réalisateur Avi Mograbi s’adresse aux spectateurs de Tremblay-en-France depuis Tel Aviv.
Le cinéma Jacques Tati participe aussi à des séances interconnectées avec d’autres cinémas (La 7e salle) et, dernièrement, il a mis en place le dispositif 9-3 connectés avec le Trianon, à Romainville et l’Ecran de Saint-Denis qui, par exemple, a permis de diffuser en simultané la série Top of the Lake de Jane Campion (avec une présentation retransmise en direct). Ce dispositif permet de favoriser la diffusion de nouveaux contenus, tout en tirant avantage des outils numériques et des pratiques communautaires, en vue de renouveler les publics.
Une communication fondée sur les réseaux sociaux et les nouvelles pratiques communautaires
Le cinéma Jacques Tati a par ailleurs décidé de fonder une partie de sa communication sur les réseaux sociaux et les nouvelles pratiques communautaires, en plus du programme papier mensuel. Ce choix permet d’annoncer les événements qui n’avaient pu être présentés dans le programme mensuel. C’est dans ce contexte qu’un poste de Community Manager a été créé en 2014.
Une plateforme 2.0 dédiée au festival Terra di Cinema (terradicinemaplus.fr) a également vu le jour. Elle propose une nouvelle offre de programmation : des webdocumentaires, des entretiens filmés, le journal d’un spectateur, des travaux d’enfants et des jeux avec des prix à la clé. C’est un laboratoire numérique qui préfigure le projet de 4e salle virtuelle dont l’offre culturelle sera articulée avec l’offre classique en salle.
Quant à EuropaCorp, il possède un site assez élégant et plutôt fonctionnel, dédié à son unique établissement cinématographique à ce jour. Sont mis en avant la « nouvelle expérience cinématographique imaginée par Luc Besson » et plus spécifiquement l’offre proposée dans les salles First. Mais aussi la possibilité de privatiser une salle pour un anniversaire, un séminaire ou un lancement de produit.
CONCLUSION
S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur le long terme, on constate dès à présent que l’implantation du multiplexe Aéroville EuropaCorp a un impact sensible sur l’accès aux films et sur la fréquentation du cinéma Jacques Tati, donc sur son économie. Mais il faut poursuivre l’observation et désormais prendre en compte l’arrivée d’un autre établissement d’envergure à proximité : l’UGC Ciné Cité O’Parinor, dont la programmation diffère de celle de l’EuropaCorp et dont le succès a été immédiat, avec 100 000 entrées atteints en 40 jours.
A Tremblay-en-France, la concurrence s’exerce presque exclusivement sur les films généralistes grand public. Une question se pose donc : le cinéma Jacques Tati doit-il opérer un repli identitaire sur l’Art et Essai ?
Au moment où la question du renouvellement des publics se pose avec acuité, le cinéma Jacques Tati a choisi de ne pas sanctuariser le lieu et de conserver une programmation généraliste, tout en proposant de nouvelles formes d’interaction avec ses spectateurs. Si le cinéma associatif poursuit le travail de terrain et de proximité qu’il menait auparavant, il se transforme déjà, fait le pari de l’inventivité. Et, face à la concurrence d’un multiplexe aux ambitions strictement commerciales, il est tenu de réfléchir à ce qui fonde un cinéma de service public aujourd’hui : telle est sa différence, et sa légitimité aussi.
Quelles perspectives pour l’exploitation indépendante de la périphérie parisienne à l’heure de l'expansion des multiplexes ?
Animé par Clarisse Fabre, journaliste Culture et cinéma au Monde.
Participant.e.s :
– Christine Beauchemin-Flot, directrice-programmatrice du cinéma Le Sélect à Antony (92)
– Corentin Bichet, directeur et programmateur du cinéma municipal Louis Daquin au Blanc-Mesnil (93)
– Eric Busidan, chef de service de la mission de la diffusion au CNC
– Renaud Laville, délégué général de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE)
– Etienne Ollagnier, gérant de la société de distribution Jour2Fête
– Boris Spire, directeur du cinéma L’Ecran à Saint-Denis (93) et président du Groupement national des cinémas de recherche (GNCR)
L’évolution de la réglementation
En ouverture de la table ronde, Eric Busidan rappelle les deux critères pris en compte dans l’instruction des demandes d’autorisation d’implantation ou d’extension des multiplexes en France depuis 2008 :
1) l’effet du projet en termes de diversité de l’offre cinématographique.
Le rapport Lagauche, remis au CNC il y a un an, insiste sur la nécessité de défendre un certain pluralisme dans l’exploitation. Dans ce sens, le projet de loi de juin 2014 (loi Pinel) prévoit que le maintien d’un pluralisme de programmation soit l’un des critères d’appréciation dans la procédure d’autorisation d’extension et d’implantation des établissements cinématographiques. Eric Busidan précise en outre que des outils juridiques existent déjà, tels les engagements (non obligatoires) de programmation spécifique qui peuvent être souscrits par les multiplexes pour laisser un accès privilégié à certains films aux salles indépendantes. Par exemple, ces engagements peuvent concerner les films recommandés par l’AFCAE, ou bien encore certaines catégories de films art et essai.
2) l’effet du projet sur l’aménagement culturel du territoire.
Eric Busidan fait remarquer qu’il est très difficile de refuser un projet parfait sur ce critère et perfectible sur le critère précédent. Concernant le Nord et l’Est parisiens, le taux d’équipement cinématographique était inférieur à d’autres territoires, ce qui explique le nombre de projets d’implantation ou d’extension autorisés ces dernières années.
Renaud Laville, délégué général de l’AFCAE, reconnaît qu’il existe des ententes intelligentes mais craint que les engagements spécifiques relèvent davantage d’un jeu de dupes, l’enjeu étant avant tout d’emporter l’adhésion des membres des commissions d’aménagement cinématographiques, à commencer par celle des élus locaux qui ont du mal à résister aux propositions de certains promoteurs immobiliers. Renaud Laville insiste sur la nécessaire pédagogie à mener auprès de ces élus soumis à une forme de schizophrénie entre des intérêts contradictoires.
Eric Busidan souligne que ces engagements spécifiques ne doivent pas être connus des seuls acteurs, mais traduits dans un document écrit. Toutefois ils ne peuvent être établis qu’en amont de la procédure d’autorisation et ne peuvent donc concerner des établissements existants.
Renaud Laville constate que le rapport Lagauche avait suscité beaucoup d’espoir mais il craint aujourd’hui que les modifications apportées à la réglementation en vigueur n’aillent pas très loin. Il regrette en particulier que le renforcement des experts cinéma au sein des commissions n’ait pas été traduit dans la loi.
Quels recours pour les salles indépendantes ?
En tant que directrice du cinéma Le Select à Antony, Christine Beauchemin-Flot pose des recours ou demande des auditions lorsqu’elle le juge nécessaire. Mais, en tant que salariée de la ville, il lui serait difficile de contester une décision d’implantation ou d’extension prise par les élus et le maire.
Le Select se trouve actuellement dans une situation complexe puisque décision a été prise il y a peu de créer 9 salles à Massy, d’ajouter 4 salles supplémentaires au multiplexe Belle-Epine de Thiais et d’autoriser l’extension du multiplexe UGC de Vélizy. Si la ville d’Antony soutient son cinéma (le seul de la ville) et tient à conserver son public en maintenant une programmation généraliste, une fuite des publics vers les multiplexes des environs est un danger avéré. Christine Beauchemin-Flot insiste sur le fait que la programmation de films non art et essai participe à l’équilibre financier du cinéma et lui permet de prendre des risques en programmant des films plus difficiles.
Eric Busidan précise que le médiateur du cinéma peut être saisi en cas de nécessité. Il ajoute que les taux de recours augmentent régulièrement et que le rapport Lagauche mentionne un nombre plus important de refus (58 %) par la CNAC (Commission nationale d’aménagement commercial) concernant les multiplexes que les autres établissements.
Le rôle des distributeurs et la question de l’accès aux films
Aux yeux de Renaud Laville, la position dominante des principaux circuits nationaux et la pression qu’elle peut engendrer sur les distributeurs posent problème.
Etienne Ollagnier, gérant de la société de distribution Jour2fête, travaille pour sa part avec les salles art et essai à l’occasion de la sortie de films considérés comme « peu porteurs » ou « fragiles ». Il rappelle que les salles indépendantes ont besoin de 5 à 10 « gros films » par an qui leur permettent de diffuser les 80 à 100 autres nécessaires à la diversité. Le choix de programmer un film uniquement dans le réseau des salles art et essai n’a rien d’évident : Royal Affair de Nikolaj Arcel a par exemple été demandé aussi bien par les salles indépendantes que par les circuits, ce qui implique des choix difficiles qui relèvent de stratégies souvent fines.
Pour Etienne Ollagnier, plus le marché est diversifié, plus il y a de spectateurs dans les salles. C’est pourquoi les grands circuits n’ont pas intérêt, selon lui, à faire disparaître les salles art et essai. Dans cette perspective il faudrait réfléchir à des stratégies permettant qu’une salle « fragile », qui passe des films « fragiles », reçoive davantage d’aides, en ayant à l’esprit que la fragilité n’est pas une notion négative mais renvoie à une démarche de découverte.
Boris Spire, directeur de L’Ecran à Saint-Denis, en appelle pour sa part à dépasser l’exigence du plein écran en sortie nationale imposée par certains distributeurs : les salles des cinémas indépendants n’en seront pas davantage remplies. Dans cette perspective, Etienne Ollagnier envisage la vie des films qu’il sort dans la durée, quitte à ne programmer qu’une séance par jour, à un horaire qui corresponde aux habitudes du public ciblé : « la durée compense le manque de séances ».
Renaud Laville met en avant l’identité des cinémas Art et Essai et de proximité qui, à la différence des multiplexes, font un véritable travail d’accompagnement des oeuvres auprès des publics.
Christophe Gourjon, directeur du Bijou à Noisy-le-Grand, prend la parole en salle pour évoquer la question de l’accès aux copies. Alors que Le Bijou accueille 100 000 spectateurs par an, il ne parvient jamais à obtenir en sortie nationale les films art et essai porteurs que programme également l’UGC installé à proximité et il doit souvent attendre le lundi pour savoir quels films il pourra diffuser le mercredi suivant. Plus généralement, c’est la question des marges de manœuvre avec les distributeurs qui placent leurs films en multiplexes qui est posée. Eric Busidan répond en précisant que les mécanismes de régulation sont actuellement discutés dans le cadre des Assises et que les outils existants relèvent pour le moment de la médiation.
Les débats portent ensuite sur la question des engagements de distribution qui pourraient être mis en place dans le cadre de l’aide sélective. Etienne Ollagnier rappelle la grande fragilité du secteur de la distribution, que le moindre déséquilibre peut considérablement mettre à mal.
Une redéfinition de l’art et essai ?
Boris Spire se demande pour sa part s’il n’y a pas « trop de films art et essai » et souhaiterait faire avancer la méthodologie de classement de façon à mieux récompenser les salles les plus vertueuses. Renaud Laville estime que la question doit être considérée dans toute sa complexité : il rappelle que l’AFCAE a fait des propositions en ce sens dans le cadre des Assises du cinéma, approuvées par toutes les organisations représentatives de l’exploitation. Il indique, en outre, qu’il n’est pas souhaitable d’exclure les films d’auteur les plus « gros » de la recommandation art et essai : ce serait méconnaître leur importance pour des salles situées hors des grandes agglomérations où il peut être difficile de les programmer et d’attirer du public, qui plus est en version originale. Boris Spire évoque l’idée que les salles ne soient pas « récompensées » de la même manière, selon le travail d’animation effectué par exemple. Lors du dernier comité de pilotage Art et Essai, une mesure portée depuis longtemps par le GNCR a été validée par l’ensemble des instances présentes (FNCF / AFCAE / GNCR), à savoir le principe d’un bonus financier sur la base des séances réalisées par les films recommandés Recherche et découverte sortis sur moins de 70 copies.
CONCLUSION
La table ronde s’achève sur des échanges avec le public touchant notamment à l’évolution du nombre de multiplexes en Ile-de-France dans les années à venir. Luigi Magri, directeur du cinéma Jacques Tati (Tremblay-en-France), constate une croissance exponentielle du nombre des écrans à l’échelle du futur Grand Paris et considère que les cinémas indépendants auront le plus grand mal à résister s’ils ne sont pas situés dans une intercommunalité très forte. Eric Busidan lui répond qu’en-dehors de Paris, l’Ile-de-France n’est pas si bien équipée que cela par rapport à la moyenne nationale. Corentin Bichet, directeur du cinéma Louis Daquin (Le Blanc-Mesnil), considère qu’à apprécier les situations à l’aune des seules moyennes, celles-ci ne cessent d’augmenter et il y aura toujours des zones sous-équipées.
Le temps des ateliers
Au-delà des langues… Présentation de 4 ateliers menés auprès d'un public de jeunes primo-arrivants
À la découverte d’ateliers innovants de pratiques artistiques et culturelles, en temps scolaire, périscolaire et hors-temps scolaire, pour les publics allophones.
Animé par Xavier Grizon, coordinateur Culture et art au collège à Cinémas 93
Cinémas 93 a souhaité dédier ce moment d’échanges à la question du public allophone pour de nombreuses raisons. Tout d’abord il existe un lien naturel entre l’apprentissage de la langue, la découverte d’une autre culture et celle de modes d’expression audiovisuels et artistiques. Ensuite, il semble que ce public soit en général plus ouvert, enthousiaste et entreprenant qu’un public endogène lorsque des ateliers et des programmations lui sont proposés. Enfin, les spécificités du public allophone, en particulier celles des mineurs isolés étrangers, incitent à travailler au-delà des repères culturels habituels et des contraintes de la langue, ce qui semble libérer une forme de collaboration plus intuitive et originale entre adolescents, artistes et adultes encadrants.
> Démineurs : atelier d’expression pluridisciplinaire avec des mineurs isolés étrangers primo-arrivants. Réalisation de petits films individuels et créatifs. Présenté par Fred Soupa, réalisateur, et Hervé Laud, directeur du service de suite, association Devenir à Neuilly sur Marne (93).
Les films réalisés lors de cet atelier prennent la forme de cartes de visite animées. Chaque participant raconte son parcours en voix-off sur des images composées à partir d’objets, de visuels de son choix. Pour les mineurs isolés, le récit de leur vie est un enjeu important, quand bien même de nombreux non-dits demeurent. Ces films ont vocation à être diffusés au-delà des structures dans lesquelles ils ont été réalisés. Il est évident que le grand écran leur donne un autre statut, même si l’enjeu n’est pas celui de la qualité du film mais tient plutôt à la parole exprimée.
En savoir +
> Projet MAP-MIE : une cartographie participative innovante à destination de jeunes mineurs isolés étrangers. Initié par Bibliothèques sans Frontières. Présenté par Elodie Perroteau, responsable des programmes France, Bibliothèques Sans Frontières.
Les élèves, des mineurs isolés, repèrent des lieux à Paris et en région parisienne, des structures culturelles, administratives, des lieux de sport ou de rendez-vous possibles, autant de points de repères pour eux. Ils y récoltent un certain nombre d’informations (adresse, horaires par exemple) qu’ils reportent ensuite sur une carte interactive et collaborative. A terme, cette carte en forme de balades urbaines est susceptible de devenir une véritable carte sensorielle, avec des sons, que n’importe quel utilisateur pourrait modifier et enrichir.
En savoir +
> Utopie graphique : atelier de création d’un film en scotch réalisé
avec le cinéaste Emmanuel Bellegarde, l’enseignante Catherine Chrétien (Collège Henri Barbusse à Saint-Denis) et Cinémas 93.
Parcours mené dans le cadre du dispositif « La Culture et l’Art au Collège ».
Les participants ont été invités à travailler autour de la question de l’utopie à partir d’une technique simple : le dessin avec des bandes de scotch. A partir d’un groupe de 15 participants, de 12 nationalités différentes, un film commun a émergé. Techniquement, si chacun « met la main à la pâte » pour donner forme à une histoire partagée, la part du hasard est importante dans le résultat obtenu car, en accélérant les images filmées par la caméra, l’ordinateur en supprime un certain nombre.
> Petite Géographie du cinéma : atelier de réalisation mené avec l’Espace 1789 au Collège Joséphine Baker de Saint-Ouen. Présenté par Nathalie Nouailles, enseignante et Marguerite Hême de Lacotte, chargée des relations avec le public à l’Espace 1789.
L’objectif de cet atelier était de réaliser un film au sein de l’Espace 1789 sur le souvenir que chaque élève participant conserve de sa première expérience de cinéma (certains n’étant d’ailleurs jamais allés au cinéma auparavant). Pour réaliser ce film, les élèves ont eu accès à tous les recoins de l’Espace 1789. A l’issue de l’atelier, chacun devait pouvoir se sentir chez lui dans ce lieu culturel que tous se sont approprié le temps du tournage.
La présentation des ateliers a été suivie d’une projection-rencontre
Sur les traces de nos pères (52′)
Film réalisé par des élèves dans le cadre d’un atelier vidéo mené au Collège Pablo Neruda d’Aulnay-sous-Bois.
Tourné entre la France et le Sénégal, Sur les traces de nos pères est une adaptation libre du récit d’Amadou Elimane Kane, L’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë.
Animer le réel : l’image par image et les effets visuels dans le documentaire et la fiction réaliste
Les effets visuels dans la fiction réaliste
INTRODUCTION
Par Damien Maric, concepteur et superviseur d’effets visuels, co-fondateur de la société WIP Studio et du groupe Overlook.
En guise d’introduction, Damien Maric est revenu aux origines des effets spéciaux : la caméra de Georges Méliès se bloque inopinément quelques instants et une ambulance se transforme en corbillard. Les forains ont tôt fait de s’emparer de ce nouvel outil pour faire revenir les défunts. La longue histoire des effets spéciaux s’enracine dans ces découvertes aussi anciennes que le cinéma lui-même.
Aujourd’hui, les techniques ont bien entendu évolué et les effets visuels se répartissent selon trois types :
- Les effets invisibles (le matte painting et la création d’univers entiers)
- Les effets semi-invisibles (la multiplication des figurants dans un stade…)
- Les effets visibles (les vaisseaux spatiaux dans Star Wars…).
Damien Maric a ponctué et illustré son introduction d’exemples concrets tirés, notamment, de la série Bref diffusée sur Canal + dont WIP Studio a créé les effets visuels.
Panorama des techniques d’effets visuels (VFX) dans la fiction réaliste aujourd’hui
Rencontre avec Edouard Valton – Mikros Image
La présentation du parcours d’Edouard Valton a été l’occasion de prendre la mesure des évolutions techniques, jusqu’aux plus actuelles, dans le domaine des effets spéciaux, mais aussi d’embrasser l’ensemble des métiers de ce secteur d’activité.
> Visionnez un extrait de l’intervention d’Edouard Valton
Edouard Valton a débuté sa carrière en 1985 dans la publicité avant d’intégrer la société After Movies où il a appris les trucages sur pellicule. Il a ensuite rejoint la société de production de films publicitaires Première heure où il a côtoyé des réalisateurs et photographes très créatifs. Les équipes travaillaient en analogique sur des trucages vidéo, des clips. C’est La Cité des Enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet qui suscite chez lui l’envie de travailler pour le cinéma, où les enjeux techniques et artistiques étaient plus importants. Il rejoint alors Duboi (il travaille notamment sur le film Alien La résurrection réalisé par Jean-Pierre Jeunet) puis BUFF. Depuis deux ans, il est directeur des productions chez Mikros Images.
Après ce retour sur son parcours, Edouard Valton a présenté dans le détail les activités de Mikros Image, créée en 1985. La société compte aujourd’hui 950 salariés et collaborateurs, qui travaillent sur 350 projets par an (longs métrages, téléfilms, films publicitaires), aussi bien sur de l’étalonnage numérique, du color mapping ou des effets spéciaux. La société compte aussi un département de recherche et développement, avec une équipe d’ingénieurs qui développent des outils à usage interne, mis à disposition d’autres sociétés en open source. Mikros Images intervient aussi, on le sait moins, sur des projets de restauration et de sauvegarde des films.
Depuis trois ans, Mikros Images est chargé de l’animation du nouvel Asterix. Un studio a été mis en place pour l’occasion, avec de nouvelles équipes. La présentation de ce projet est l’occasion de rappeler les différentes étapes indispensables à la réalisation d’un tel film d’animation : l’écriture du scénario, la création d’un story-board puis d’une animatique 2D, et enfin l’animation en 3D.
La présentation successive de documents préparatoires et d’extraits de Neuf mois fermes d’Albert Dupontel rend tangible la différence entre les effets spéciaux invisibles, semi-visibles et visibles. Pour ce film, six mois de travail ont été nécessaires pour truquer plus de 370 plans, ce qui est considérable. Les plus complexes à réaliser sont ceux qui comportent des éléments fluides (l’eau, les vagues…). Reproduire l’humain constitue sans doute le plus grand défi (relevé dans une publicité pour Chrisitan Dior où Marylin Monroe, Marlen Dietrich et Grace Kelly ont été ressuscitées) : plus on va vers le réalisme, plus l’œil est exigeant. C’est la raison pour laquelle il est très difficile de faire cohabiter un acteur en chair et en os avec un acteur modélisé.
L’intervention d’Edourad Valton s’est achevée par une série de questions du public, en particulier sur la différence entre l’animation proprement dite et l’animation de décors et d’accessoires, mais aussi sur l’importance du story-board et de la prévisualisation (qui permettent de modéliser l’espace et de préfigurer les déplacements de caméra), ou encore sur l’utilisation de la motion capture, technique qui a permis à Mikros Image de créer toute une librairie d’animation de foules.
Les effets visuels dans le cinéma d’auteur
Rencontre avec Thomas Cailley et Alain Carsoux
Thomas Cailley, réalisateur, et Alain Carsoux, superviseur des effets visuels, sont revenus sur leur collaboration à l’occasion des Combattants sorti en août 2014.
> Visionnez un extrait de la rencontre Thomas Cailley et Alain Carsoux
Alain Carsoux est un pionnier et une figure dans le domaine des effets spéciaux. Il a commencé sa carrière dans les années 80. Il œuvrait alors dans la publicité, les premières machines numériques ne permettant pas de réaliser des effets spéciaux d’une assez bonne définition pour faire du cinéma. Son premier film fut Delicatessen de Caro et Jeunet : le déplacement d’une mouche, le mouvement d’un couteau… Alain Carsoux travaille aujourd’hui au sein de la Compagnie générale des Effets Visuels qu’il a créée en 2012 avec d’autres anciens du groupe Duran-Dubois.
Thomas Cailley et Alain Carsoux rappellent qu’il existe deux types d’effets visuels : des créations (des effets visuels que l’on voit) et des effets visuels destinés à corriger des erreurs de mise en scène (qui ne sont pas destinés à être vus). On retrouve ces deux cas dans Les Combattants.
Mécontent de la dernière séquence du film, le réalisateur a d’abord expliqué dans quelles conditions il a dû la retourner plusieurs mois plus tard, dans un décor très différent : au lieu de prendre place dans la nature en plein été, elle a été rejouée au mois de janvier sur un parking de Gennevilliers. Le décor originel a été incrusté numériquement, un trucage invisible aux yeux du spectateur. Alain Carsoux précise que ce genre de plan, bien que peu spectaculaire, doit être particulièrement soigné.
Un bon superviseur des effets visuels doit savoir proposer des solutions en adéquation avec l’esprit du film, avec les idées du réalisateur qui, parfois, ne visualise pas précisément ce qu’il souhaite tourner ou ce qu’il est possible de tourner. Pour Les Combattants, Thomas Cailley et Alain Carsoux se sont interrogés sur la meilleure façon de créer de la fumée par effets spéciaux pour la séquence de l’incendie dans le village. Après avoir envisagé plusieurs possibilités, une solution hybride a été trouvée. Sur le tournage, des confettis ont été disséminés avec une machine souffleuse afin de donner l’impression d’une pluie de cendres. Quant à la fumée, elle a été créée numériquement en post-production (les confettis ont également été retouchés).
Cette solution correspondait à l’esthétique du film, était cohérente avec le décor naturel (qui ne permettait pas d’utiliser de la vraie fumée, les rues étant trop vastes), mais aussi avec l’économie de ce film d’auteur. Elle a permis de gagner du temps, la séquence étant tournée sur une seule journée, mais elle a nécessité un travail préparatoire : c’est la seule séquence qui a été story-boardée, comme du dessin animé.
La post production des effets spéciaux est une étape essentielle au cours de laquelle le réalisateur n’intervient quasiment pas. Le cinéaste est alors dans un rapport de confiance avec l’équipe qui en a la charge. Pour Les Combattants, Thomas Cailley s’est rendu quatre ou cinq fois sur place, pour repréciser certaines demandes.
A la question du coût des effets spéciaux numériques, Alain Carsoux répond qu’il est certain que cela représente un budget conséquent pour la production. Néanmoins, il n’intervient que lorsqu’aucune autre solution n’est envisageable. Il arrive parfois que faire appel à ce type de technique permette précisément de faire des économies (lorsqu’on souhaite remplir un stade par exemple !).
Thomas Cailley remarque que l’enjeu peut également être artistique. Alors que, pour signifier l’incendie, il envisageait un rideau de fumée qui aurait bouché les perspectives, c’est Alain Carsoux qui a eu l’idée de créer une tornade de fumée.
Le réalisateur constate une certaine similitude dans sa relation avec un directeur des effets visuels et dans celle qu’il entretient avec un compositeur de musique de film : dans les deux cas, leur travail permet de prolonger la phase d’écriture du film pendant le montage, ce qui représente pour le réalisateur une réelle liberté. Travailler de cette façon sur un film d’auteur aurait été inimaginable il y a dix ans.
Carte blanche au magicien et performer Nieto !
Issu de l’atelier Effets spéciaux des Arts-Déco de Paris et des Beaux-arts de Toulouse, Luis Nieto se situe entre l’art et le cinéma. En 2006, son premier court métrage, Carlitopolis, remporte le prix du public au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Dans son travail, il mêle stop-motion, animation 3D et prise de vue réelle. Présent sur la scène internationale, Nieto a plus d’un tour dans son sac. Véritable caméléon, il est à la fois peintre, designer, réalisateur, performer, graphiste et… magicien !
http://www.nietoscope.com/
Quand le cinéma documentaire emprunte les voies de l'animation
En partenariat avec l’Afca (Association française du cinéma d’animation)
INTRODUCTION
Par Olivier Catherin, producteur.
> Visionnez l’introduction d’Olivier Catherin
Cet après-midi a été entièrement consacrée au documentaire animé, une « notion » apparue récemment. Olivier Catherin s’interroge : s’agit-il d’une mode ou de l’émergence d’un véritable genre cinématographique ? Il rappelle que la rencontre entre le cinéma d’animation et le documentaire n’est pas nouvelle. Il existe depuis longtemps des documentaires didactiques avec des séquences animées illustratives. Un changement de perspective s’est opéré il y a dix ans, amorcé par le court métrage Ryan de Chris Landreth (Grand Prix au Festival d’Annecy en 2003) qui a marqué les esprits par son utilisation inédite de l’animation. Mais c’est Valse avec Bachir d’Ari Folman qui a véritablement changé la donne. Ce film de témoignage sans archives, quasi totalement animé, est aussi un récit narratif, presque une fiction. Il explore également des zones qui peuvent résister à une approche strictement documentaire, comme l’intime et le rêve.
On découvre ainsi, depuis une décennie, des films qui relèvent de l’hybridation des genres mais aussi mêlent les images et les techniques ; des films qu’il est difficile de classer dans des catégories et qui sont souvent proches de l’expérimentation, ce qui n’est pas sans poser problème dans la recherche de financements.
Présentation d’un projet de long métrage en cours de développement : La Route des Samouni de Stefano Savona, produit par Alter Ego.
En présence de Stefano Savona et de Cécile Lestrade, productrice.
> Visionnez un extrait de l’intervention de Stefano Sanova
Stefano Savona a débuté le tournage de La Route des Samouni en 2009, dans la bande de Gaza. Le réalisateur y avait fait la connaissance d’une famille qui venait de subir un deuil incommensurable, à la suite d’un bombardement. Il lui était impossible de faire un bon film sur un sujet aussi à vif. « Il fallait s’éloigner le plus possible de ce moment tragique pour raconter cette famille et cette tragédie ». D’où le choix de tourner certaines séquences en animation, conçues par Simone Massi.
L’idée centrale du film est la reconstruction : celle de Gaza (qui ne cesse n’être détruite et reconstruite) et celle moins visible du passé, de l’intériorité. Une reconstruction qui fait suite à une destruction terrible, dont il n’est possible de prendre la mesure que si l’on parvient à rendre compte de la vie de cette famille avant la tragédie.
Stefano Savona a fait le choix de commencer le film bien après la tragédie, avec une mise en scène proche du cinéma direct. Le temps est celui du présent. L’animation n’est pas encore de mise car Stefano Savona peut filmer. Les personnages se racontent, reviennent sur le passé. C’est alors que les images animées apparaissent. Elles incarnent les souvenirs. Plus on se rapproche du moment de la guerre, plus la part d’animation s’avère importante. Le flash-back devient alors le présent du film et montre la destruction vécue du point de vue d’Amal, une jeune fille de la famille, qui a passé trois jours seule et perdue dans les décombres. C’est seulement alors que peuvent s’insérer les images tournées par Stefano Savona au lendemain de la destruction. Le film se termine ainsi par les premières images qu’il a tournées.
La technique choisie par l’animateur, Simone Massi, est simple, épurée. Elle consiste à recouvrir une feuille avec du crayon à l’huile puis à gratter. Cette technique rappelle le travail de gravure et donne des images très sculpturales. Stefano Savona explique : « Simone Massi gratte la matière comme les Samouni labourent les champs. Tout est toujours labouré à Gaza, par les agriculteurs mais aussi par les buldozers. » Cette synchronisation entre la forme et le sujet n’aurait jamais pu être obtenue par la 3D. Une équipe de quinze animateurs a été formée, qui travaille pour le film selon cette technique.
Pour financer La Route des Samouni, Cécile Lestrade a obtenu l’aide de la Région Centre, qui développe son pôle d’animation. Aucune autre aide reçue n’est pour le moment liée à l’animation. Un coproducteur italien est également présent depuis trois ans, ainsi que la société de Stefano Savona, Picofilm. La difficulté du montage financier tient au caractère hybride du film. Une demande d’aide aux nouvelles technologies en production a également été déposée auprès du CNC.
Rendez-vous sur le site de Simone Massi pour découvir son univers graphique
Le documentaire animé est-il un lieu privilégié du décloisonnement des genres ? Comment certains cinéastes du réel s’emparent-ils de l’animation dans leur démarche documentaire ?
Participants : Valérianne Boué, productrice aux Films d’ici, Julia Boutron, étudiante en master de communication documentaire à Angoulême (CREADOC), Cécile Lestrade, productrice et directrice artistique chez Alter Ego, Jeanne Paturle, réalisatrice, Cécile Rousset, réalisatrice, Stefano Savona, réalisateur, Jean-Christophe Soulageon, créateur de la société Les Films Sauvages et Denis Walgenwitz, président de l’AFCA.
Les deux jeunes femmes travaillaient dans la même école et le sujet s’est imposé à elles. Elles ont dans un premier temps enregistré la parole des enseignants pour créer la bande-son, puis elles se sont penchées sur la recherche et le travail des images. L’éclectisme de leurs choix formels correspond à l’idée d’un film à quatre mains, c’est également une façon de faire respirer le film. Pendant trois ans, Valérianne Boué, leur productrice, les a laissées libres dans l’avancement de leurs travaux, sans d’ailleurs se lancer dans la recherche de financement, qui s’est faite plus tard. Un accompagnement assez inhabituel mais qui témoigne d’une réelle confiance dans leur projet. Les deux réalisatrices ne se considèrent pas à proprement parler comme des documentaristes ; leur inspiration, leur imaginaire sont plastiques. Il a fallu donner un sens au mode d’expression, précise Valérianne Boué, construire une formulation.
> Visionnez un extrait de l’intervention de Jeanne Paturle et de Cécile Rousset
Julia Boutron, étudiante au CREADOC, a présenté un film d’école et en a explicité la démarche. Ce documentaire animé est le fruit de la rencontre entre deux écoles : l’EMCA (Ecole des Métiers du Cinéma d’Animation) et le master professionnel Ecriture et réalisation documentaires de CREADOC, tous deux situés à Angoulême. Lors de leur première année de master, les étudiants de CREADOC réalisent un documentaire sonore. Les étudiants de l’EMCA choisissent ensuite chacun l’un des documentaires sonores qu’ils mettent en image, après réécriture et nouveau montage, pour aboutir à un film de 3 minutes. L’enjeu pour l’animateur est de restituer en images un univers au départ purement sonore.
Denis Walgenwitz a pour sa part décrit son rôle en tant que chargé de l’animation du projet de long métrage de Patrick Zachmann, Mister Wu.
Le film, encore en développement, comportera une partie filmée en prise de vue réelle, interprétée par des acteurs (dont Matthieu Demy), et une partie animée en 2D par le cinéaste chinois Liu Jian (Piercing 1) intégrant le travail photographique de Patrick Zachmann. Valérianne Boué, productrice du film, précise que Patrick Zachmann envisage ce projet comme une fiction, bien qu’il soit d’inspiration très autobiographique. Le film racontera l’histoire d’un photographe qui travaille sur la diaspora chinoise, aidé par un certain Monsieur Wu qui accepte, pour des raisons inexpliquées, de l’introduire dans ce milieu. Or Monsieur Wu disparaît subitement, sans laisser de trace. Le mystère est resté si aigu pour Patrick Zachmann qu’il a souhaité prolonger cette expérience par un film, l’occasion de relater cette histoire mais aussi de mettre en valeur les photos prises à l’époque et qui constituent le cœur du projet. Elles trouvent leur place dans le film grâce à l’animation en 2D qui en prolonge les contours, l’envers, c’est-à-dire le hors champ..
Stefano Savona tient à faire remarquer que c’est la première fois qu’un photographe de Magnum prête ses images à un projet de cette nature. Après la philosophie de l’instant unique, se poser la question de ce qui se passe « à côté » des photographies lui semble une remise en question personnelle de toute une esthétique.
Denis Walgenwitz rappelle que les hommes ont toujours accordé du crédit au dessin pour représenter la réalité. Celui-ci relève d’un artisanat. Il semble plus humble, plus digne de confiance, plus conforme à la réalité que certains films en prise de vue réelle.
> Visionnez un extrait de l’intervention de Denis Walgenwitz
Jean-Christophe Soulageon a pour sa part produit de nombreux films caractérisés par l’hybridité (dont une sélection a été présentée à la suite de la table ronde dans le cadre d’une carte blanche aux Films sauvages). Il revendique un goût pour les projets en dehors des normes. Il n’est pas un spécialiste de l’animation et choisit de faire confiance à un réalisateur sur la base d’une intention et sa maîtrise de la technique. C’est l’idée du work in progress qui l’intéresse. Alors qu’en fiction ou en animation plus classique, on sait exactement où l’on va.
> Visionnez un extrait de l’intervention de Jean-Christophe Soulageon
La journée s’est clôturée par une Carte Blanche aux Films sauvage, société de production
Programmation spéciale de documentaires animés – Durée : 80 min.
Contact
Partenaires
La Seine-Saint-Denis, la région Île-de-France, la DRAC – Île-de-France, Cinéma Public, l’AFCA, le Fil des images et la Société générale.