JEUDI 5 NOV - CONFÉRENCE DE MATHIEU MACHERET

REMAKE, RE-FAIRE, OUI MAIS POURQUOI ?

Détournements, citations, appropriations et réemplois d’images... 

  • MATINÉE (9H30 – 11H30)

Création cinématographique


CONFÉRENCE

Le remake d'hier à aujourd'hui. Quels en sont les enjeux industriels et artistiques dans l'histoire du cinéma ? Quelles sont les pratiques contemporaines ?

par Mathieu Macheret, journaliste cinéma au Monde, conférencier et animateur de ciné-clubs. Il est également membre du comité de rédaction des Cahiers du Cinéma et collabore aux revues Trafic et Études.

Remake, de l'anglais « refaire », désigne au cinéma une pratique qui consiste à refaire un film qui existait déjà. Depuis L'Arroseur arrosé (1895), tourné plusieurs fois par les frères Lumière, le cinéma n'a jamais cessé de recommencer les mêmes films. Ne verrait-on pas là une dynamique bien connue de l'histoire de l'art : celle de l'emprunt et de l'apport ? Les artistes ont toujours emprunté aux grands maîtres qui les ont précédés. Mais alors pourquoi ne parle-t-on pas du remake d'un livre, d'un tableau, d'une symphonie ? Le remake met au jour la part industrielle du cinéma, parfois ressaisie en tant que telle par les artistes. La notion ouvre en tout cas un point de vue idéal sur l'évolution des images animées, comme sur celle des temps ou des représentations communes.


> Conférence
> Extraits commentés
> Questions des spectateurs
> Ressources complémentaires


Introduction

Léa Colin, chargée de mission création à Cinémas 93, introduit cette seconde journée des Journées professionnelles, consacrée au remake au cinéma : son histoire, ses enjeux industriels et artistiques, ses pratiques contemporaines. Cette matinée axée sur la création cinématographique a été pensée en deux temps : d’abord un moment théorique à travers la conférence de Mathieu Macheret, qui propose de remettre en perspective la question du remake au cinéma ; puis une discussion avec l’artiste et vidéaste Christophe Herreros, dont le travail tourne précisément autour de ces questions. 

 

Conférence

Mathieu Macheret commence par préciser que la question du remake est un vaste sujet, qui ne pourra évidemment pas être embrassé en totalité dans cette intervention. La pratique du  remake concerne l’ensemble de l’histoire du cinéma, depuis ses origines. On en observe les premiers exemples chez les frères Lumières, qui ont tourné plusieurs versions de L’arroseur arrosé, ou encore dans les divers plagiats suscités par le Voyage dans la Lune de Méliès.

Le remake, une notion spécifique au cinéma

Faire un remake, c’est donc refaire un film qui existait déjà. Mais chaque film, comme toute œuvre d’art, vient de quelque part : la question qui se pose est celle de la limite entre la reprise et la nouveauté. Cette question dépasse largement la sphère du cinéma et traverse toute l’histoire de l’art : Picasso a refait des tableaux de Velasquez, le théâtre classique français emprunte ses sujets à l’Antiquité, La Fontaine reprend les fables d’Esope, le hip hop emprunte des samples au jazz… Quelles que soient les époques et les disciplines, on ne sort pas de cette dialectique entre l’emprunt et l’apport.

Cependant, il n’y a qu’au cinéma qu’on parle de « remake ». On parle éventuellement, en musique, de reprise, ou de remix, mais jamais de remake. Pourquoi ? Probablement parce que concernant le cinéma, la question n’est pas uniquement à considérer sous l’angle artistique. On se souvient de la phrase de Malraux : « Le cinéma n’est pas seulement un art, c’est aussi une industrie ».

La caractéristique d’une industrie

Le seul fait d’emprunter un sujet ou un motif ne suffit pas à définir un remake : le remake, c’est la reproduction à l’identique des éléments structurels d’un film donné.

La pratique du remake vient d’abord de la volonté de réitérer un succès : l’industrie cherche à refaire des films qui ont marché. Hollywood apparaît ainsi comme le centre mondial du remake, machine à reproduire ses propres films mais aussi les succès étrangers. Le système des studios, en son âge d’or, a ainsi défini une structuration du cinéma par catégories et par genres, de façon à limiter les variations d’un film à l’autre, pour que chaque film soit à la fois différent et reconnaissable par le public. Cette structuration définit le cinéma comme une industrie de prototypes et elle est toujours d’actualité aujourd’hui. 

Mais pourquoi l’industrie éprouve-t-elle ce besoin de refaire ? Pourquoi ne pas simplement ressortir les succès du passé ? Cela pose la question de la validité de la notion de progrès en art. Est-ce que les innovations techniques ont une influence sur la qualité des œuvres ? C’est là un débat esthétique, qui encore une fois ne prend pas en compte la dimension industrielle du cinéma. En effet, si on reproduit des films, c’est que du point de vue de l’industrie, il y a bien une obsolescence des formes cinématographiques : les films auraient besoin d’une mise à jour, d’un lifting, pour être à nouveau visibles.

Considéré sous cet angle, le cinéma comprendrait donc une part durable, la part écrite (idée, sujet, histoire) et une part altérable, la part formelle (mise en scène, décors, costumes, interprétation) qui correspond à un goût du jour et qui est condamnée à la péremption.

La dimension artistique du remake

On ne saurait évidemment s’en tenir à cette vision, car le cinéma est une industrie et un art : c’est cette double nature qui le rend intéressant. Le remake, dont la raison d’être première est d’ordre économique, a ainsi pu être investi par des cinéastes dans une démarche artistique. Il peut être le vecteur d’un dialogue entre un réalisateur et un autre, un réalisateur et un genre, un moyen de rendre hommage ou au contraire de contester, ou encore l’occasion d’un perfectionnement. Duplication, perpétuation, remise en cause… La vérité du remake évolue entre ces différents pôles. 

L’intérêt du remake comme objet formel apparaît évidente. En effet, ce qui définit un remake, c’est qu’il n’est pas issu d’un scénario original, mais d’un film préexistant. Le scénario qui sert de base au remake, c’est la forme du film précédent. Il y a, entre un remake et le film dont il est issu, un nécessaire lien organique.

Par exemple, si on prend deux adaptations de Madame Bovary, l’une par Jean Renoir et l’autre par Vincente Minelli, on constate que les deux films ont chacun une relation avec le roman qu’ils adaptent, mais qu’ils n’ont pas de relation entre eux. Ce ne sont pas des remakes, ce sont des adaptations.

En revanche, on considère que Frankenstein Junior de Mel Brooks (1974) est bien un remake de Frankenstein de James Whale (1931) : plus qu’une nouvelle adaptation du roman de Mary Shelley, c’est une reprise de ce dernier film, qui en reproduit (sur le mode parodique) les caractéristiques formelles.

© Frankestein - James Whale

L’incarnation ultime de cet aspect pourrait être le Psychose de Gus Van Sant (1998), qui reprend plan par plan celui d’Alfred Hitchcock. On est ici dans une démarche expérimentale, manière quasi fétichiste de s’emparer de la dimension plastique d’un film.

En ce sens, le remake permet de prendre de la distance avec la primauté du sujet dans la création cinématographique. Ainsi, par sa forme, par la singularité de son approche, un remake peut modifier le sujet du film dont il s’inspire.

De manière plus générale, l’étude des remakes permet d’observer l’évolution des formes et des représentations, à travers l’histoire, selon les époques et les pays. Le remake permet de voyager dans le temps et l’espace, il est un formidable outil pédagogique de comparaison.

 

Extraits commentés

Scarface de Howard Hawks (1932) et Scarface de Brian de Palma (1983)

Les variations de formes et l’évolution des canons entre les époques s’observent particulièrement bien dans les films de genre, en l’occurrence ici, le film de gangsters.

Le motif repris dans les séquences finales de Scarface de Howard Hawks (1932) et Scarface de Brian de Palma (1983) est celui du gangster acculé dans sa planque : derniers instants avant la chute, où explose toute la démesure du « héros ». Ce personnage est, dans les deux cas, un immigré (Italien dans la première version, Portoricain dans la deuxième) qui a su se hisser au sommet, mais par des moyens illégaux – apparaissant ainsi comme une incarnation négative des valeurs prônées par son pays d’accueil. L’enjeu de la séquence, dans les deux versions, est la destruction de ce personnage dont on nous a préalablement montré l’ascension, dans une apogée de violence.

La dramaturgie des deux scènes est identique : le gangster apparaît d’abord au-dessus des lois, ne craignant rien ni personne ; puis la mort de sa sœur, touchée par une balle, le ramène à l’humanité, le rendant vulnérable ; à partir de là, sa destruction devient possible, et occupe toute la fin de la séquence.

Dans les deux cas, on a affaire à un numéro d’acteur : Paul Muni et Al Pacino s’en donnent à cœur joie dans l’interprétation de la folie et d’une forme de jouissance masochiste éprouvée dans la mort. À la fin de la séquence, l’idée du sigle lumineux « The world is yours » est ouvertement reprise par de Palma.

Cependant il est clair qu’entre ces deux films, le cinéma américain a changé. Le Scarface de Howard Hawks marque les débuts du cinéma parlant. Il y a une dimension théâtrale dans la manière dont l’espace est mis en scène, jouant sur une division entre la scène et les coulisses (la chambre de Scarface et la rue où se trouvent les policiers), reliées par un escalier au milieu duquel le gangster est abattu.

Dans le film de Brian de Palma, l’assaut se déploie au contraire dans un espace démultiplié, qui explose littéralement. Nous sommes dans les années 80, en pleine époque maniériste, où on reprend les formes classiques pour les distordre jusqu’à les exténuer. La représentation de la violence est aussi plus extrême : deux morts dans la version de 1932, une hécatombe dans celle de 1983.

La seconde version de la scène est clairement un hommage à la première. Cependant, elle la réactualise en repoussant ses limites jusqu’à la boursouflure, manière ironique de peindre les excès et la vulgarité consumériste des
années 80.

L’impossible M. Bébé (Howard Hawks, 1938) et Le sport favori de l’homme (Howard Hawks, 1964)

© Le Sport favori de l'homme  - Howard Hawks

On peut ici observer le cas d’un « autoremake ». Howard Hawks reprend une scène construite sur un gag identique dans deux films différents, à 30 ans d’écart.

Ce qui est en jeu à travers cet accident de garde-robe, c’est l’irruption de la sexualité dans la relation d’un homme et d’une femme contraints de la refouler à cause de leur environnement social.

Dans la scène de L’impossible M. Bébé, le gag prend une forme diffuse dans le temps et l’espace : le personnage de Katharine Hepburn s’épuise en paroles et ne voit pas ce qui se passe, tandis que celui de Cary Grant assume la part burlesque de la scène en jouant sur la gestuelle et les regards appuyés.

La scène du Sport favori de l’homme est beaucoup plus explicite : le gag s’étire moins en longueur, la nudité du personnage féminin est plus franche, et l’impulsion du personnage masculin clairement désignée. Le gag est développé en fin de scène par le détail de la cravate, à quoi s’ajoute une touche de vaudeville avec l’arrivée inopinée de la future épouse.

 

Questions des spectateurs

Quelle est la frontière entre remake et plagiat ?

Mathieu Macheret précise que le plagiat est une notion juridique qui déborde la dimension esthétique et même industrielle de la fabrication des films. Cela concerne éventuellement les « mauvais » films dans lesquels il n’y a aucune forme d’invention et qui se contentent de reprendre une formule en la copiant. Il y a bien eu quelques procès entre studios américains, mais cela reste marginal. L’histoire du cinéma témoigne plutôt d’un partage, d’une communication entre les formes. La notion de plagiat semble secondaire dans le cinéma – en tout cas dans le « bon » cinéma dans lequel il y a toujours une intervention, une modification, un apport qui prolongent le film précédent.

Peut-on parler du remake comme d’un art de la compétition, du défi ?

Mathieu Macheret confirme : le remake témoigne souvent d’une volonté de faire mieux, même s’il s’agit souvent d’un mirage. De nombreux remakes entendent dépasser les originaux grâce aux progrès techniques, en les rendant plus immersifs, plus efficaces. Mais il ne fait pas de doute que malgré l’ampleur des moyens mis en œuvre, les nouvelles versions de King Kong n’ont pas su retrouver la poésie du premier qui reposait sur le côté artisanal de ses effets spéciaux, comme par exemple, l’animation image par image de la créature.

Sur la question du défi, on peut penser à 2001 l’Odyssée de l’espace de Kubrick (1968) et Solaris de Tarkovski (1972). Le cinéaste russe propose quatre ans plus tard un contre-exemple spiritualiste au matérialisme cynique de son homologue américain. La plupart du temps, cependant, c’est la volonté de rendre hommage qui prédomine. En dehors du cadre purement industriel, les remakes sont le fait de cinéastes qui ont aimé des films et qui ont envie de prolonger leur histoire.

Vous parliez du hip hop et du sampling dans votre introduction, en cinéma c'est ce que fait Quentin Tarantino. Serait-ce une évolution du remake ?

Le cinéma de Quentin Tarantino dépasse le concept de remake en ce sens qu’il emprunte à différents genres de la culture populaire, parfois eux-mêmes hybrides, pour les mélanger encore davantage. C’est la décomposition-recomposition d’un vaste puzzle qui serait l’histoire des images et du cinéma, et qui, à travers ce mélange des formes définit un possible horizon pour le remake.


> RESSOUrces complémentaires <


> LA VERSION PDF DE LA RESTITUTION 2020 <