JPRO 2024 / Après-midi 5 mars - Conversation avec Rebecca Fons
- Après-midi 5 mars - Question d'exploitation cinématographique
Discussion croisée avec Rebecca Fons, directrice et programmatrice du Gene Siskel Film Center à Chicago et du Iowa Theatre à Winterset
Après avoir travaillé pendant 8 ans au Festival international du Film de Chicago, Rebecca Fons est aujourd’hui à la tête d’un des deux cinémas art et essai emblématiques de Chicago, ville d’immigration qui compte parmi ses habitant.e.s de nombreuses communautés. Soutenue financièrement par un écosystème économique très différent du modèle français (mécénat, notamment de fondations privées), elle conçoit sa programmation et ses actions culturelles en tenant compte de la grande diversité de ses publics. Parallèlement, elle a repris et rénové le cinéma d’une petite ville du Midwest, patrie de John Wayne et où elle a grandi.
Discussion animée par Laurent Callonnec, directeur du cinéma l’Écran à Saint-Denis
Traduction par Pascale Fougère
Il y a trois ans, Laurent Callonnec, directeur du cinéma L’Écran de Saint-Denis, a initié un travail sur les salles art et essai aux Etats-Unis dans le cadre d’une formation en exploitation à la Fémis. C’est ainsi qu’il a rencontré Rebecca Fons. Après des débuts comme responsable de la programmation scolaire du Festival international du film de Chicago, Rebecca Fons est devenue en 2021 directrice artistique du Gene Siskel Film Center. Dans le même temps, elle programme deux salles à Iowa City et a rouvert un ancien palace cinéma à Winterset, sa ville natale, le Iowa Theater.
Rebecca Fons présente son parcours et son activité. Davantage que comme une directrice de salle ou une programmatrice, elle se voit comme une modeste « anthropologue » : sa principale préoccupation concerne les gens, issus des diverses communautés auxquelles elle s’adresse. Les deux cinémas qu’elle anime sont de fait très différents, dans un contexte où le nombre de salles art et essai aux États-Unis (environ une centaine) décroît chaque année.
Le Gene Siskel Film Center (Chicago, Illinois)
Le Gene Siskel Film Center, du nom d’un critique de cinéma célèbre aux États-Unis, est l’un des seuls cinémas art et essai de Chicago, qui compte pourtant trois millions d’habitant.e.s. Cette salle de deux écrans est rattachée à l’École de l’Institut d’art de la ville, pour laquelle elle remplissait à l’origine le rôle de cinémathèque. Elle fonctionne avec un budget d’un million de dollars par an.
Sa programmation art et essai couvre un spectre assez large, des sorties américaines et internationales à l’accueil de festivals, en passant par des films de patrimoine restaurés et des projections thématiques. Rebecca Fons propose des films qui autrement ne pourraient pas être vus à Chicago. Elle a mis en place des événements comme le cycle « Settle in » qui propose des films d'une durée minimale de neuf heures, ou bien encore le Destroy Tour Art Film Festival, qui « sacralise » l’expérience cinématographique collective en salle. Une partie de la programmation s’adresse à des communautés fortement représentées à Chicago : le Black Harvest Film Festival, des films polonais…
En plus du poste que Rebecca Fons occupe, le Gene Siskel Film Center compte dix salarié.e.s à plein temps, quinze agent.e.s d’accueil à temps partiel et une dizaine de bénévoles.
Le Iowa Theater (Winterset, Iowa)
Le Iowa Theater, que Rebecca Fons a rouvert avec sa mère dans la petite ville de Winterset (5 000 habitant.e.s), est un mono écran qui fonctionne avec un budget de 100 000 dollars par an.
Les films y sont présentés environ trois semaines après leur sortie. L’écran rétractable de la salle lui permet également d’accueillir des spectacles locaux.
La programmation est très différente de celle du Gene Siskel Center : c’est une programmation « grand public » qui s’adresse à une population rurale, essentiellement blanche, aux revenus modestes. Mais cela n’exclut pas l’exigence. Ainsi Rebecca Fons a créé le Movie Club, qui se tient un dimanche par mois. Les spectateur.rice.s ont pu y découvrir des films comme Parasite de Bong Joon-Ho ou Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski, expériences très nouvelles pour eux. L’abonnement coûte 60 dollars par an, le popcorn est gratuit, et chaque film est suivi d’un débat. 80 personnes ont adhéré la première année, ce qui peut être considéré comme un succès.
Le Iowa Theater est animé notamment par un professeur à la retraite qui s’est formé à la projection numérique. Il compte huit salarié.e.s rémunéré.e.s à l’heure, la plupart des retraité.e.s et des étudiant.e.s. Rebecca Fons assure la programmation bénévolement.
L’enjeu du financement
Le point commun entre ces deux cinémas est leur caractère non-commercial et leur indépendance. Chacune à leur manière, ces salles cherchent à se connecter à un public et à le rassembler. Leur défi est de continuer à exister dans un contexte où l’aide apportée par l’État fédéral et les autres pouvoirs publics est très faible : la part de subvention publique s’élève à 200 000 dollars au Gene Siskel Center et à 15 000 dollars au Iowa Theater. Le financement de ces salles provient donc majoritairement de dons privés (fondations et particuliers), de sponsors, de l’abonnement des adhérent.e.s, de la billetterie courante et de la vente de popcorn. Le soutien politique apporté par les municipalités est toutefois essentiel.
À Chicago comme à Winterset, l’enjeu pour Rebecca Fons est de concilier une programmation excitante avec la nécessité d’attirer ces financements. Programmer pour soi n’a pas de sens : il s’agit de trouver un équilibre basé sur la compréhension des différents publics. Mais l’expérience montre que ces publics sont le plus souvent curieux. Les amener à sortir de leurs habitudes, c’est leur faire comprendre que le cinéma peut prendre des formes différentes, qu’il est important de faire vivre.