Entretien avec P. Condroyer
Avant de retrouver Philippe Condroyer le Vendredi 23 novembre à Bondy, découvrez l'entretien avec Philippe Condroyer
autour de La Coupe à 10 francs (1974)
Frédéric Borgia : L’origine de La Coupe à Dix Francs, c’est un article que vous avez lu dans le Nouvel Obs ?
Philippe Condroyer : Oui, exactement. Il y a eu ce fait divers, Caviglioli en avait fait un article, que j’ai ressenti dans ma sensibilité d’une façon très particulière, puisque déjà, le suicide de l’adolescence, c’est quelque chose qui paraît assez inadmissible, assez incompréhensible. D’autre part, apparaissait dans cet article, je crois me souvenir, une volonté absolue de bloquer ce type, de le foutre à la porte, de lui faire se couper les cheveux, enfin l’autoritarisme du directeur était quelque chose qu’en moi je trouvais assez désagréable. Et, en plus, il faisait de la peinture, comme je vous l’ai raconté, moi aussi. J’avais donc cette sensibilité, en quelque sorte. Avec la peinture, on s’exprime de manière indicible, on fait un sujet, mais il y a autre chose, il y a la personnalité du type qui passe, il y a le besoin de s’exprimer, il y a plein de choses comme ça qui rejoignaient l’événement. En plus, moi, autrefois, j’étais terriblement timide, donc je n’avais pas non plus le moyen de me défendre ou de m’expliquer, etc. Donc, j’ai été sensible à cet événement, et, on n’était pas loin de Mai 68… Moi, je l’ai écrit en 72 ce sujet. Et, je l’ai écrit très rapidement… Donc, j’ai écrit ce scénario là très rapidement, dans le besoin.
FB : Est-ce que vous avez essayé de rencontrer la famille du jeune homme, de faire un travail de journaliste ?
PC : Ah non, pas du tout ! Caviglioli l’avait fait, d’une part et puis, non non, je me suis transposé dans la fiction de l’événement, immédiatement. J’ai écrit quasiment d’un jet le scénario. Après quoi, dans la démarche habituelle, je l’ai déposé à l’avance sur recettes et il se trouve que j’ai eu trente millions d’avance sur recettes. Par la suite, j’ai du m’absenter pour faire un autre travail. Quand je suis revenu avec mon scénario et cette avance, je n’avais plus qu’un temps très court pour utiliser l’avance. J’ai donc proposé, je crois, à la Gaumont, qui me l’a refusé aussi sec et, j’ai été chez un autre producteur, qui avait l’air intéressé. Bon… ce qui l’intéressait, c’était mon avance sur recettes, pour payer ses dettes. Et, je n’ai eu de sa part vraiment… On a tourné avec des moyens terriblement réduits, le strict minimum pour qu’on ne puisse pas dire que ce film n’avait pas profité de l’avance sur recettes. Je ne vais pas rentrer dans les détails… Et, j’ai tourné ce film en deux-trois semaines environ, en demandant aux acteurs d’être au minimum de leurs salaires, enfin ça a été, chacun a été au ras des pâquerettes pour tourner. Le seul luxe que j’ai pu m’offrir et qui était quelque chose qui n’était pas dans le sujet, enfin qui n’était pas dans le fait divers mais que moi j’avais ajouté au sujet, c’est le camion-réclame, qui joue un rôle je trouve assez intéressant, mais je vous en parlerais peut-être tout à l’heure. Il joue un rôle intéressant, pour des raisons de provocation des uns et des autres. Bon, j’ai donc écrit ce scénario absolument à cru, si j’ose dire. Un metteur en scène célèbre m’a dit qu’il n’aurait pas mis « André » –c’est le nom du héros qui se suicide– comme personnage principal. Tout ça pour finalement des raisons commerciales, parce qu’un suicidé à la fin d’un film, ça fait pas des recettes ! D’ailleurs… voila !
Didier Baussan : Mais ça fait des révolutions !
PC : Oui ! Mais c’est dans cet esprit là que ce film… enfin, ce n’est pas un esprit révolutionnaire, mais il y a un humanisme que j’essaie de dégager de tous ces personnages qui se trouvent dans des situations, qui ne sont pas royales, qui ne sont pas merveilleusement financièrement intéressantes. Ce sont des ouvriers, ce sont des travailleurs… et puis il y a un patron au-dessus de tout ça.
FB : Justement, est-ce que vous trouvez que votre film s’intègre dans le cinéma français de l’époque ? Je me souviens de films d’Edouard Luntz, ou de cinéastes comme ça, qui filmaient un peu la France telle qu’elle était, des ouvriers…
PC : Oui, j’ai toujours fait beaucoup de films industriels, en commençant dans le cinéma. Et, c’est là où j’ai pu avoir une connaissance réelle des situations des ouvriers dans le contexte ouvrier. Et c’est pourquoi j’avais fait un autre court-métrage, Une Lettre, qui est allé au festival de Tours. C’est l’historie d’un ouvrier italien qui travaille dans les fonderies –où je faisais d’ailleurs un court-métrage industriel. Je profitais de ce court-métrage industriel qui avait un matériel extraordinaire pour de temps à autres, faire des plans qui me serviraient à faire cet autre court-métrage, qui s’appelle Une Lettre. C’est donc l’histoire d’un ouvrier fondeur italien qui reçoit une lettre de sa fiancée en Italie, et c’est la lecture de cette lettre, de ce qu’il se passe en Italie, au niveau quotidien de la fille, qui me servait à monter ces plans d’une même journée mais en opposition à ce qu’il se passait en Italie et dans son métier à lui. Et c’était assez intéressant.
FB : Alors comment quelqu’un qui est né dans le 6ème arrondissement, qui y habite, etc. est intéressé par ces thématiques ?
PC : Moi Monsieur, je suis né dans le 15ème !
FB : Pardon. Mais voila, comment quelqu’un qui est issu de cet univers-là est intéressé par des films industriels, le monde ouvrier et ce fait divers… ?
PC : Et bien je ne saurais pas vous dire, c’est ma sensibilité. Je n’ai pas d’explications. Mon père était grand reporter au journal Le Journal. Il a été le premier prix Albert Londres. Je suis allé à l’école Alsacienne et puis après, il y a eu la guerre. En 1939, quand on a commencé à déclarer la guerre, etc. j’avais tellement peur du masque à gaz qu’on voulait absolument me mettre sur la figure, qu’on m’a descendu dans le Midi, où je suis resté et où j’ai vécu une partie de la guerre, chez un oncle, à Toulon. Je suis remonté à Paris pendant l’Occupation, j’ai un peu aidé à ramasser les ruines des bombardements américains. Et puis à la Libération, j’ai été « Health Sanitator », pour courir là où il y avait des gens qui avaient besoin d’aide. Et à l’étage au-dessus de notre salle de réunion, il y avait des FFI. Et, j’ai une image qui m’est restée de ces moments-là : il y a un camion, une plate-forme allemande, qui est passé avec pleins de types qui venaient d’être arrêtés et il y en a un qui m’a tendu un papier en me disant téléphonez à ma femme, dites-lui ce qu’il se passe. Voila. C’est mon « fait héroïque », ce qui n’est pas très brillant.
DB : Votre film précède Passe ton bac d’abord, de Pialat. Est-ce que vous pensez qu’il y a pu avoir une forme d’influence dans l’intérêt qu’a manifesté Pialat pour ces jeunes gens qui sont à peu près de l’âge de ceux que vous mettez en scène dans votre film ?
PC : Vous savez, je n’aurais pas la prétention de croire que mon film a pu influencer Pialat.
DB : Pourtant, il y a la même volonté d’inscrire sociologiquement les personnages et presque d’être dans le reportage, la caméra vérité…
PC : Oui, oui. Alors peut-être que le fait d’avoir vécu dans un milieu disons cossu, plus facile, m’a été un point de contraste avec les autres. Parce que mon tout premier film est un film qui a été financé par un industriel absolument délicieux, mais qui avait une usine de voitures d’enfants. Et j’ai fait mon premier film industriel –si j’ose dire– dans son usine. Et, de ce tournage, il y a des choses dans La Coupe à dix Francs, à savoir le chantage, le harcèlement sexuel : cette fille qui est obligée de coucher avec le concierge, ce n’est pas une histoire inventée. Il y a des tas de maux, des tas de situations, auxquels j’étais plus sensible qu’à des repas de famille cossus ou à des amis qui pouvaient avoir de belles voitures. Je trouvais qu’il y avait plus d’authenticité, je me trompe peut être… les milliardaires sont peut-être très authentiques.
FB : Peut-être que ce que voulait dire Didier, c’est que : on est en 73-74 et c’est une époque assez forte pour le cinéma français –Pialat, La Coupe à dix francs, Les doigts dans la tête. C’est à ce moment-là des cinéastes qui ont envie de filmer la jeunesse française, alors qu’aujourd’hui pas grand monde a envie de filmer la jeunesse…
DB : Si, ils la filment, mais ils ne filment pas celle-là !
PC : Oui, c’est ça plutôt oui. Cette jeunesse… Doillon a fait son film après le mien, mais le mien est sorti après ! À cause des carences des producteurs.
FB : Revenons sur le tournage d’ailleurs. Comment s’est-il passé ?
PC : L’équipe était formidable, tout le monde était parti pour faire ça. Et, les décors… Oui, j’ai parlé du bus tout à l’heure, de cette voiture-vitrine, de ce camion-vitrine, c’est la seule grosse dépense faite par la production. Car, quand on a tourné dans l’Oise, une partie des gens [de l’équipe] a couché dans un hôtel, minime, et l’autre partie chez moi, enfin chez une parente. Et la chambre d’André, où on le voit peindre, etc. ça n’a coûté aucun rond, c’était une maison où on a tourné plusieurs scènes. La scène des parents d’André, c’est le fermier d’en face qui s’est prêté à cette aventure. Enfin, si vous voulez, moi j’ai investi dans ce tournage à la fois beaucoup de décors pour rien, enfin ça n’a rien coûté à la production. Et, j’ai beaucoup investi moi-même, financièrement, quand il y a eu le festival de Cannes, que le film a été retenu à la Quinzaine des Réalisateurs. Le producteur a dit : « ça n’a aucun intérêt la Quinzaine des Réalisateurs au festival de Cannes, ça ne m’intéresse pas »
Donc, j’ai payé moi-même l’attaché de presse, les papiers qu’on distribue, les voyages et la cavale dans Cannes.
FB : Quel a été l’accueil à Cannes alors ?
PC : Très bien, très bien. Toutes les critiques viennent de là, plus que des quatre ou cinq mois après quand le film est sorti, parce que tout le monde avait oublié Cannes. Mais c’est un film où il y a eu une unanimité de bonnes impressions. Il y a eu une projection dans un ciné-club, j’imagine ou je ne sais plus, mais il y a eu une projection avec une salle pleine et après il y a eu un échange de propos entre le public et moi. Et la scène du syndicalisme, je la raconte là donc : c’est un syndicaliste qui a une moto un peu importante et qui donne rendez-vous à André et à ses copains dans un café, un café de province, un café très ordinaire. Et, quand on a fait le tournage, l’acteur qui fait le syndicaliste me dit : « mais… un café, mais je ne peux pas manger quelque chose », car en plus il avait faim. Bon, je dis à mon assistant, tu vas chercher un croissant. Et, dans la salle, il y a un mec qui me dit : « mais… votre délégué syndical là, il bouffe un croissant, qu’est ce que ça veut dire !? ». Je lui ai dit que c’était un événement tout ce qu’il y a de plus normal puisqu’il s’est passé normalement. Je pense qu’un syndicaliste peut bouffer un croissant ! Et, ça veut dire que, quand on fait une mise en scène d’un type de film comme ça, à engagement assez serré, assez précis, enfin avec des gens qui font des choses. Cela veut dire que tout doit être vérifié, tout doit être vu, tout compte ! Il n’y a pas un détail qui échappe, surtout quand on n’a pas grand-chose à dire, on cherche le détail sur lequel le public peut intervenir. Et, à ce propos, j’ai une anecdote. Au niveau des dialogues, ils ont tous été écrits… j’ai presque envie de dire que je les ai tous entendus. Quand ils étaient écrits et que je ne les ai pas entendus, je ne demandais pas aux acteurs de les dire exactement, je leur disais ce qu’il y avait d’important dans les cinq ou dix lignes qu’ils avaient à dire, que tel mot devait apparaitre, etc. et je leur disais « maintenant vous vous démerdez avec ce que je veux c’est entendre cette conversation ». Et c’est très significatif dans la scène où ils téléphonent, où ils sont quatre ou cinq dans la cabine téléphonique, pour téléphoner au syndicaliste et où ils essayent de se rappeler les mots importants et ils sont d’un naturel absolument extraordinaire. De même que lorsqu’ils sortent la nuit et qu’ils passent devant les magasins de mode qui sont encore un peu éclairés, ils font des commentaires qui sont absolument étonnants.
DB : Vous l’avez tourné en 16 mm ?
PC : Oui, oui.
DB : C’est un choix ?
PC : Ha, hélas non !
DB : Pourtant, ça apporte une vérité supplémentaire au film…
PC : Absolument ! Mais ce qu’il se passait, c’est qu’on avait quand même des moyens limités. Et, l’histoire du 35 mm, elle est quand même assez savoureuse, parce que le laboratoire, qui n’existe plus aujourd’hui, qui s’appelait « Signes ». Pour faire une copie 35, il fallait monter A et B, c'est-à-dire que le négatif un plan sur deux est « A », et l’autre est « B » et, la longueur qu’il manque pour le plan « B », c’est le plan « A » et on y met des longueurs d’amorce noire. Le laboratoire « Signes » avait mis des chutes négatives à la place de l’amorce noire, si bien que c’était absolument dégueulasse, qu’on leur a demandé de le refaire et que pour le refaire chaque fois, ils décollaient et quand ils ne pouvaient pas décoller (car la colle avait trop collé), ils coupaient l’image et ils recollaient. C'est-à-dire qu’il y a des plans où il manque des images, la première image ou la dernière et, en agrandissant la copie 35, fatalement, l’image qui manquait était dédoublée, ce qui fait que dans un mouvement, il y avait un tout petit arrêt. Ce qui a fait dire à Philippe Colin, qui était un critique de cinéma remarquable à l’époque, que c’était un effet que j’avais commandé qui était très remarquable. Et, je me suis dit après coup que c’était peut être un système qu’il fallait utiliser dans certaines circonstances.
FB : Est-ce qu’il a eu un succès, lors de sa sortie commerciale ?
PC : Lors de sa sortie commerciale, il y a eu trois affiches dans Paris (vous vous en avez une [Didier Baussan], vous avez de la chance !), c’est sorti dans quatre salles, sans aucune publicité nulle part. Et, je ne sais même pas combien de spectateurs sont venus voir ce film. Ça n’avait pas beaucoup d’intérêt. Et, sur Internet, lorsque vous tapez « La coupe à 10 francs », vous pouvez trouver « La coupe à 10 francs, de Philippe Condroyer », j’ai un parent qui l’a acheté et il a eu la surprise de voir que c’était un match de football…
FB : Au niveau de la carrière du film après, est-ce qu’il a tourné dans des ciné-clubs, etc. ?
PC : Tout à l’heure, je vous disais comment ce film était arrivé à studio Canal +. Comme je vous l’ai dit, j’ai signé un contrat Léonin, je n’avais aucun droit sur rien. Le producteur a été mis en demeure par un autre producteur auquel il devait de l’argent, qui lui a sommé de lui donner La Coupe à 10 francs, et comme ce deuxième producteur ou distributeur a fait faillite, il a mis en vente La Coupe à 10 francs dans un paquet de Mon pied sur la commode, Va voir si j’suis là ou je ne sais quoi. Et j’ai assisté à la vente successive de mon film au milieu de piles de films, et je ne pouvais pas racheter mon film tout seul, il fallait que j’achète la pile, donc c’était un peu trop pour moi. Et alors, à l’époque, enfin je crois que cela se passe toujours ainsi, les distributeurs achètent des piles de films, pour éventuellement en passer quelques-uns à la télé. Donc mon film a été ré-acheté finalement, au bout de quatre ou cinq « achats-ventes » à la bougie, par Studio Canal, qui l’a en ce moment, et que j’essaye d’avoir avec eux des relations –ils sont très gentils ! Mais c’est toujours dans les tuyaux- et quand je demande combien vaut ce film, combien je pourrais le racheter, etc. ça n’avance pas. Je n’ai jamais aucune réponse me disant « non on ne veut pas vous le vendre » ou l’inverse. Et, comme il y a une fiche pour chacun des films qu’ils achètent, je pense que pour ce film, il y a une fiche qui doit être politiquement contre ce film. Une fiche du début, qui suit les ventes successives.
DB : Je voulais vous poser une question aussi. Comment s’est opéré le choix de Didier Sauvegrain ?
PC : Ah… là vous faites appel à ma mémoire défaillante ! J’ai du faire un casting et sa gueule m’a plu et il avait déjà les cheveux longs, etc. et qu’il ait accepté de se les faire couper pour le film, c’était une condition sine qua none et j’ai trouvé admirable qu’il l’accepte. Nous sommes restés amis.
Antoine Duhamel a du faire 80 % de la musique de mes films, que ce soit les films publicitaires ou non, enfin je ne vais pas vous raconter ma vie professionnelle avec Duhamel, parce qu’elle est assez longue. Donc j’ai demandé à Antoine Duhamel de me faire une musique pour ce film, à l’image, et en plus, très sensible au saxophone, je lui ai demandé qu’il y ait un saxophone qui soit dans la partition. Et, ce cher Antoine a choisi Antony Braxton, qui est un saxophoniste qui était déjà assez d’avant-garde dans le free jazz et, ils ont fait à l’image une musique que je trouvais superbe. Elle est touchante, elle est émouvante… Le DVD que vous avez vu, c’est un DVD que j’ai fait faire, d’après une VHS. Ils n’ont pas voulu le faire d’après un Béta Sp, car ils m’ont dit que ce serait meilleur d’après la VHS, donc on l’a fait d’après une VHS ; quand on voit le résultat…
FB : Vous n’avez pas répondu à ma question, à savoir si le film a eu une vie dans les ciné-clubs, les MJC, etc. dans les années 70 ?
PC : Et bien écoutez, je ne crois pas, pour la bonne raison qu’il a été vendu assez rapidement. Il a été en distribution après le film Les doigts dans la tête de Doillon, et après ça, il a été dans les mains du producteur puisque moi je ne pouvais pas intervenir et après le film était dans les ventes aux enchères, je n’avais plus accès à rien. En dehors de la Cinémathèque, qui a projeté La Coupe à 10 francs, lors de l’hommage à Duhamel, en présence de Didier Sauvegrain ; moi je n’ai pas pu y aller, j’étais malade, je le regrette beaucoup d’ailleurs. Parce que Antoine a eu une grosse audience, il y avait toutes ses musiques de films, il a donné un concert à la Cinémathèque, etc. Et c’est pourquoi je vous ai parlé de la copie de la Cinémathèque. Moi j’ai déposé une copie DVD et je crois que c’est tout…
(FB : Oui, il faut qu’on s’en occupe)
C’est tout frais ça, mais j’ai trouvé ça typique de mes démarches dans les dialogues. Oui, la qualité des dialogues en trois phrases. J’attendais l’autobus à une station. Il y a un grand type un peu timide qui arrive et qui me suit, et l’autobus arrive. Et ça donne ceci : « un type accompagne une femme. Le type : « alors tu vas chez Raymonde ? ». L’autobus arrive. Elle : « Qu’est c’qui t’dit qu’j’vais chez Raymonde ? ». Lui : « J’croyais que tu… ». Elle monte dans l’autobus. Pas lui. Et depuis l’extérieur : « Et pourquoi j’irais pas chez Raymonde ? » elle dit. Fermeture des portes automatiques et lui, il fait un petit geste comme ça timide. » Et, la manière dont c’est fait, tout de suite vous voyez qu’il y a un problème entre eux, mais un problème sérieux. Et ça m’a fait penser à la conversation téléphonique que donne, dans les Misfits, Mongtomery Clift. Il téléphone à sa mère, et on sait tout de lui, en quelques phrases à sa mère… Et bien là c’est pareil.
DB : Est-ce que vous acceptez l’idée que La Coupe à 10 francs est un film pudique ?
PC : Absolument. Parce que, quand le concierge s’envoie la petite qui est toujours en retard, on ne voit pas le plumard.
DB : Je ne parlais pas nécessairement de la tentation de montrer, je parlais d’une manière générale, y compris dans le comportement, dans la mise en scène, comment vous filmez Sauvegrain, quand il parle par exemple. On a presque l’impression que la caméra viole une intimité.
PC : Je suis très pudique et en même temps très curieux… Voila.
…
Ce que je voulais dire sur le camion-vitrine dont je vous parlais tout à l’heure. J’ai eu une idée, je ne sais pas comment d’ailleurs, de ce camion qui est une vitrine ambulante, avec les meubles de Forget, le fabricant, à l’intérieur, et la provocation du chauffeur pour qu’ils montent. Le camion-vitrine n’est pas dans le fait divers. Mais le rapport amoureux dans la maison de Forget, le patron, provocation dérisoire et inconsciente. Ils sont chez Forget. Ils sont dans son salon. Il pleuvait terriblement, ce qui est bien la nuit, parce que ça tombe sur la vitrine, c’est beau… Mais il n’y avait pas assez de lumière à l’extérieur, il n’y a que des stations-services ! Donc j’ai regretté un peu, mais ça marche bien quand même. Et Roselyne Villemet est une actrice qui était vraiment un bijou. Elle fait des trucs tellement sincères, tellement authentiques. Maintenant elle est en province et elle travaille beaucoup dans les théâtres.
Un jour il arrive et il me dit qu’il avait un côté triste et, quand je voulais qu’il ait l’air gai, je lui disais « soyez triste », donc il arrive et il me dit « j’ai perdu mon répondeur… »… et finalement son répondeur, c’était sa mère. Faut être étrange. Mais, je n’arrivais jamais à savoir s’il avait un humour noir, ou s’il était comme ça, un peu à côté de ses pompes. Mais, c’est quand même étonnant quelqu’un qui vous dit « j’ai perdu mon répondeur », au lieu de dire « ma mère est morte » !
DB : Encore quelqu’un de pudique alors !
PC : Parce que, c’est elle qui répondait à toutes les demandes de tournage. Mais il y a comme ça sur les tournages des trucs invraisemblables… J’ai eu un ingénieur du son, dans le Sud-ouest, sur un film de télévision. Il arrivait avec sa camionnette et il mettait un tapis devant sa camionnette pour ne pas salir l’intérieur. Et, tous les matins on lui demandait si ça allait et il nous répondait « oh, j’ai mangé une pomme ».
Entretien réalisé par Frédéric Borgia & Didier Baussan
Le Mardi 3 Juillet 2012 (photo Etienne H Baussan)