JPRO2023 / Matinée 9 mars - Projection et rencontre
- Matinée du 9 mars - Mille formes d'éveil et d'art pour les tout-petits
Une cabane à demeure de Maya Gratier et Valeria Lumbroso
Catherine Morvan est comédienne, chanteuse et plasticienne. Elle est très vite sortie des théâtres pour rencontrer des publics variés : enfants malades, détenu.e.s, théâtre de rue. Depuis 2002, elle joue essentiellement pour la petite enfance avec la compagnie du Praxinoscope. En 2009, elle crée avec le musicien Jean-Claude Oleksiak la compagnie Les Bruits de la Lanterne. À travers ses spectacles intimes, poétiques, visuels et musicaux, elle s’adresse à tous les publics et peut ainsi défendre dans un spectre large ce qu’il y a de plus cher à ses yeux : la poésie.
Jean-Claude Oleksiak est musicien. Il travaille en France et à l’étranger dans diverses formations jazz et musiques improvisées. Avec la compagnie jeune public Les Bruits de la Lanterne, il développe depuis plusieurs années un grand nombre d’actions culturelles auprès de la petite enfance dans des crèches, des PMI (Protection maternelle et infantile), des centres SAJ (service accueil de jour parent/enfant en difficulté), des écoles…
Maya Gratier est professeur de psychologie du développement à l’Université Paris Nanterre depuis 2011 et directrice adjointe du laboratoire Éthologie Cognition Développement. Elle étudie les premières interactions sociales entre bébés et parents et est spécialisée dans l’analyse de la voix et des échanges sonores et musicaux. Elle a participé à plusieurs rapports sur les politiques publiques de la petite enfance (Éveil culturel et artistique, 1000 premiers jours). Elle a co-construit un parcours de formation en psychologie de la petite enfance à l’Université Paris Nanterre.
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Sarah Génot accueille les intervenants de cette seconde partie de la matinée. Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak, de la compagnie Les Bruits de la Lanterne, sont déjà venus présenter leur travail lors des Journées professionnelles de Cinémas 93, en particulier leur spectacle Un petit hublot de ciel, dont ils avaient imaginé une adaptation pour la salle de cinéma. Ces deux artistes sont convaincus de la richesse des croisements entre spectacle vivant et cinéma. Le film Une cabane à demeure témoigne de leur rencontre avec Maya Gratier, professeure et chercheuse en psychologie du développement. Il rend compte à la fois de l’installation Les pensées sauvages imaginée par la compagnie Les Bruits de la Lanterne, et des dernières recherches de Maya Gratier.
Maya Gratier revient sur la genèse de ce film, en préambule à la projection. Il a été tourné au sein du Service d’accueil de jour (SAJ) à destination de familles et d’enfants de 0 à 6 ans à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Dans un premier temps, Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak ont travaillé avec l’équipe du SAJ autour de leur installation, puis Maya Gratier est venue observer et réfléchir au processus que cette installation a mis en œuvre au sein du lieu d’accueil. Le documentaire Une cabane à demeure fait donc état à la fois du projet artistique et de la recherche scientifique qui l’accompagne. Il a été réalisé par Valéria Lumbroso, une réalisatrice de documentaires qui travaille depuis longtemps sur le sujet du développement des enfants (Premiers liens, Les premiers pas vers l’autre, Planète autisme).
Projection du film Une cabane à demeure.
L’installation Les pensées sauvages
Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak reviennent sur la genèse de cette installation. Le projet est né à l’initiative de Pauline Simon, chargée de mission Jeune public au département de la Seine-Saint-Denis, qui avait demandé à la compagnie de concevoir une installation qui touche à la fois le personnel de lieux d’accueil non dédiés au spectacle, et les visiteurs parents et enfants. L’installation a ainsi été conçue dans le cabinet médical d’une crèche de Stains, dans un espace de 3 mètres sur 4. Elle se présente sous la forme d’un décor amovible pensé pour s’adapter aux divers lieux et institutions qui travaillent avec la petite enfance.
Une longue expérience de travail en crèche a montré à Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak que les enfants n’ont pas les codes du spectateur. Ils ont en revanche une présence extrêmement riche et vivante. Cette qualité de présence et de réaction particulière a inspiré leur installation, qui met en œuvre un travail sensoriel sur l’ombre et la musique. Ils souhaitaient jouer avec les enfants, parmi eux, plutôt que pour eux. L’installation a été pensée avec une trame narrative, sur laquelle ils peuvent se reposer si nécessaire, mais ils y recourent le moins possible. Ils préfèrent improviser et accueillir la liberté des participants.
Cette forme de création offre la possibilité de partager, ce que ne permet pas un spectacle « frontal », où l’artiste ne perçoit le public qu’à distance. Le fait que l’installation reste pendant un temps entre les murs du lieu qui l’accueille (une semaine en général) ouvre également d’autres possibilités. La cabane évolue, se construit différemment au fil du temps et des expériences. Entrer dans la cabane ne nécessite pas de formuler un projet préalable avec les visiteurs, seulement d’établir un lien avec les enfants. Le passage, éventuellement, peut être marqué par un rituel comme le son d’un carillon, la lecture d'un poème, un moment musical.
Cette installation part du principe qu’il n’est pas nécessaire d’être musicien pour créer une ambiance sonore. Les instruments de musique présents dans la cabane permettent aux artistes de créer un lien avec les parents et les enfants, et entre ceux-ci. La cabane est un espace d’écoute qui accueille également la diction de poèmes, des moments suspendus pendant lesquels tous les sens sont convoqués, permettant une réelle déconnexion avec le monde extérieur. Le travail sur les ombres exige cette lenteur et cette attention. Une ombre a une qualité, elle est plus ou moins vivante et, pour être à même de ressentir cela, il faut des temps d’arrêt et de silence.
La cabane en est à sa cinquième installation. Pour les lieux qui l’accueillent, elle répond à une nécessité. Ils y consacrent un espace à part entière, qui est une pièce plus ou moins grande. Il y a un travail de transmission avec les personnels de ces lieux d’accueil : pour eux, la cabane est un outil, dont ils apprennent à se servir. Dans le film, une accueillante du SAJ de La Courneuve confie à quel point elle apprécie ces moments passés à l’intérieur de la cabane. Pour le personnel de ces lieux, c’est l’occasion de changer d’environnement, notamment d’échapper à la matière plastique qui est très présente autour d’eux. La cabane est faite de matières brutes, vivantes. C’est un espace à la fois personnel et personnalisable. Elle ne cherche pas à procurer du « bien-être », contrairement à beaucoup d’espaces dits « zen », conçus et fabriqués dans cette intention. Dans cette cabane, on fait l’apprentissage de la fragilité. On n’y trouve pas d’autre cadre que celui que donne la présence de l’autre, attentif, qu’il soit l’accompagnant adulte ou l’artiste intervenant. L’expérience de l’appropriation y est centrale. Les enfants (et les adultes) y ont la possibilité de créer une scène intérieure.
Le travail de Maya Gratier
Maya Gratier a entendu parler du projet de Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak par le biais d’Aurélie Lesous, chargée de mission Éveil et éducation artistiques et culturels, enfance et famille au Ministère de la Culture. Elle a pris contact avec eux et a pu assister à la mise au point des premières moutures de la cabane. Elle a senti que leur démarche partait du même point que la sienne : l’enfant et sa présence au monde, particulièrement dans ses deux premières années. Elle réfléchit à la manière dont l’enfant se construit à travers sa relation aux autres, aux objets, aux espaces, tout particulièrement dans son rapport à la voix et au sonore. Les recherches récentes sur le développement précoce de l’enfant montrent à quel point le tout-petit est capable de communiquer avant de parler, mettant à profit une polysensorialité remarquable, une manière unique de faire correspondre les sens qui permet une perception du monde bien plus vaste que celle des adultes. On a découvert à quel point les tout-petits sont créatifs et forces de proposition, venant à la rencontre des adultes pour apprendre ce qui peut leur être utile.
Sur ce projet, le travail de recherche de Maya Gratier s’est effectué à partir d’une combinaison d’observations, d’enregistrements audio (elle a été particulièrement attentive aux ajustements et inflexions de la voix dans l’espace de la cabane) et d’entretiens avec les personnes observées qui y ont consenti. Maya Gratier, Catherine Morvan et Jean-Claude Oleksiak ont créé avec cette cabane les conditions idéales pour que les enfants expriment leur curiosité et leur créativité, accompagnés par des adultes autorisant cette liberté. La cabane fabrique un espace hors normes, hors temps, qui permet aux adultes de rencontrer la liberté du jeune enfant. Elle propose également une association toute singulière entre le soin et l'expression profonde de la part non domestiquée en chacun. Dans cet espace, on s’autorise des choses non acceptables dans la vie normée de notre société, mais il y a toujours une remise en ordre à la fin.