2ÈME JOURNÉE - TABLE RONDE
ENJEUX DES APPROCHES LUDIQUES POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT
avec Sylvie Mateo, créatrice du Cin’aimant, spécialiste de la remédiation scolaire, Françoise Feger, Service Démocratisation culturelle et action territoriale au Musée du Louvre et Laura Cattabianchi, créatrice de jeux et médiatrice au centre de ressources de la Gaîté Lyrique.
Table ronde animée par Xavier Grizon, chargé des actions éducatives à Cinémas 93.
Sylvie Mateo ouvre la table ronde en présentant le jeu Cinaimant, produit et développé par Cinémas du sud & tilt, qui prend la forme de trois courts métrages enregistrés sur une clé USB, d’une sélection de 36 photogrammes aimantés par film, de planches avec l’ordre chronologique des photogrammes et de propositions d’utilisation (dont il est conseillé de très vite se débarrasser !).
© Cinaimant - Cinémas du sud & tilt
En tant qu’enseignante, Sylvie Mateo s’est souvent retrouvée confrontée à une question de base : comment apprendre à certains élèves à distinguer les différentes parties du noyau d’une phrase – verbe, sujet, complément. Pour transmettre cela, elle s’est demandée s’il n’était pas possible de partir d’un film, au lieu de la grammaire. Cette problématique a nourri la conception de Cinaimant. Ce jeu pousse les élèves à s’approprier une matière narrative et à assimiler les bases d’un langage.
Cinaimant fonctionne de la maternelle au troisième âge. À partir d’un matériel très simple, 4 photogrammes aimantés (extraits d’un film et sélectionnés avec soin), les participants peuvent par exemple être invités à :
- imaginer la trame du film en question
- choisir un photogramme et lui associer un mot, un son
- proposer un ordre aux photogrammes et expliquer celui-ci (esquisse d’un travail de montage)
- nommer ce qu’ils voient (personnages, lieux, actions) afin d’être capables de décrire les photogrammes avec précision
- regarder le « vrai » film, puis représenter dans un dessin un moment de leur choix
Ainsi le jeu propose des consignes, mais ouvertes. La polysémie des images et des mots incite à se dégager du vrai et du faux. A titre d’exemple, les joueurs peuvent dépouiller les lieux et les décors, les situer dehors ou dedans, puis observer où se trouvent les personnages et quels sont ceux qui se déplacent. Peu à peu se dessinent ainsi personnages principaux et secondaires.
Des formations sont élaborées à l’intention des enseignants, afin qu’ils puissent s’emparer du jeu. Ils sont également encouragés à faire des liens entre les différents films abordés dans le jeu, et même avec des images qu’ils peuvent apporter de leur côté.
Françoise Feger présente le projet Le Louvre à jouer, auquel elle a participé dans le cadre de son travail au musée du Louvre. L’offre ludique est aujourd’hui à la mode dans les musées. Il y a 5 ans, on lui a demandé d’imaginer un jeu qui aurait pour objet le Louvre. Craignant de tomber dans la ruse pédagogique au service de la transmission de contenus, elle a lu des livres sur la question et s’est rendue dans des ludothèques pour stimuler son inspiration, avec en tête cette question épineuse : comment faire jouer des enfants de 6 à 12 ans, dans l’enceinte du musée du Louvre ?
L’idée d’un jeu hors les murs lui est vite apparue comme la meilleure solution. Elle a réuni un comité de pilotage avec des ludothécaires et des universitaires, afin d’imaginer un espace spécialement créé pour ce jeu. Pour la scénographie, ils ont fait appel à Alexis Patras, qui participé à la conception de La Petite Boîte à Chagall pour la Cité de la musique / Philharmonie de Paris.
Le principe du Louvre à jouer est le suivant : les enfants, qui ne sont pas informés de ce qui les attend, sont conduits dans une pièce uniquement meublée par de grandes caisses en bois. Une femme débarque : c’est la directrice du musée. Elle se trouve dans une situation d’urgence et demande aux enfants de l’aider à monter une exposition.
Voir la vidéo de présentation du jeu Le Louvre à jouer
Après un jeu de questions réponses dont le but est de faire émerger le savoir des enfants sur la question du patrimoine, ils sont invités à ouvrir les caisses et à aménager un espace d’exposition pour les œuvres qu’ils trouvent à l’intérieur.
Une fois qu’ils ont procédé à l’accrochage des œuvres et que l’exposition est prête, une dernière caisse est ouverte : elle contient des costumes qui vont leur permettre de jouer des personnages (gardiens, visiteurs, etc.), manière d’habiter le musée qu’ils viennent de créer, le temps d’une grande récréation. Enfin, le musée est fermé, laissant la place à un temps d’échange autour de l’expérience. À la sortie, deux billets d’entrée pour le « vrai » musée sont offerts à chaque enfant.
Les enfants qui habitent des territoires politique de la ville ou ruraux isolés ne sont souvent jamais venus à Paris. Quand ils reviennent au Louvre, et même si c’est une première fois, ils s’y sentent comme chez eux. Le jeu leur a fait voir que le musée était un lieu de patrimoine, mais aussi une entreprise, avec ses métiers. Le passage par le jeu symbolique a permis de se projeter autrement dans ce lieu potentiellement intimidant.
Le Louvre à jouer se déplace, dans le cadre d’un appel à candidatures. Si la participation est gratuite, le partenaire s’engage à accompagner le public au Louvre ensuite.
Laura Cattabianchi travaille à la Gaîté Lyrique comme documentaliste et médiatrice multimédia. Dans ce cadre, elle conçoit des ateliers destinés à mettre en avant des contenus numériques et d’autres types de ressources, avec l’objectif de nourrir l’imaginaire des enfants et de replacer le numérique dans un contexte élargi, en établissant des liens avec des livres, des films, de la musique.
Elle s’intéresse tout particulièrement aux liens qui peuvent se tisser entre images et sons. Ce domaine est déjà riche : il existe toutes sortes de récits interactifs sur tablette, qui mettent en valeur la puissance narrative des sons. Il existe aussi des livres « sonores » sans son, qui font entendre des sons au seul moyen de la typographie (comme Bruit, de Marion Bataille) ; ou encore le livre Sound, de Kate Goddard, constitué de pages entièrement blanches, qui produisent différents bruits lorsqu’on les tourne.
© Bruit de Marion Bataille
Laura Cattabianchi s’est demandé s’il était possible de raconter une histoire de cette manière. Elle a expérimenté cette idée avec des enfants de l’institut Gustave Roussy à Paris, en leur proposant d’écouter les bruits émis par des feuilles de textures différentes, et d’imaginer une histoire à partir de ces bruits. L’histoire est ensuite mise en page, racontée et enregistrée, de façon à pouvoir être écoutée en groupe et donner lieu à un échange. Comme prolongement possible, on peut proposer aux participants de raconter cette histoire différemment.
Ce jeu est adapté aux enfants qui présentent un handicap car il ne demande aucune compétence technique ni motrice. Il libère leur créativité tout en les invitant à s’approprier l’activité. L’expérience a également été faite avec des enfants malvoyants et des enfants d’une classe de CP, à chaque fois dans une version adaptée.
Xavier Grizon souligne à quel point cette expérience montre que la notion de jeu est extensible. C’est un espace des possibles dans lequel l’enfant peut s’approprier des choses, un terrain d’émancipation où on est libre d’être soi-même.
Pour engager le débat, il propose que chaque intervenant évoque les points forts des autres projets présentés. Les qualités pointées sont :
- la richesse dans l’économie des moyens
- la confiance faite aux participants et à leur libre créativité,
- la persévérance permettant de faire aboutir un projet.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Dominique Mulmann, responsable du jeune public au cinéma Le Trianon de Romainville, évoque le festival Les enfants font leur cinéma : depuis 8 ans en mai et juin, pendant une dizaine de jours, Le Trianon offre aux enfants la possibilité de travailler dans le cinéma ; ils tiennent la caisse, contrôlent les billets, placent les spectateurs, aident à projeter les films, servent au bar… Connaissance du cinéma et fréquentation d’un lieu sont ainsi associés à travers différents modules. Il est étonnant de voir à quel point ils se sentent chez eux.
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