MATINÉE - QUESTION D’EXPLOITATION CINÉMATOGRAPHIQUE
- MATINÉE
Question d’exploitation cinématographique
Des habitants à la salle, de la salle aux habitants : la participation des habitants à l’activité et à la vie des cinémas indépendants de proximité
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> PRÉSENTATION
Penser un projet de cinéma avec les habitants
> PRÉSENTATION
Paroles et portraits d’habitants
> TABLE RONDE
Participation des habitants à la vie et à l'activité des cinémas
INTRODUCTION
Vincent Merlin, directeur de Cinémas 93, introduit cette matinée de réflexion consacrée comme chaque année à une problématique d’exploitation cinématographique.
Cette matinée s’inscrit dans la continuité de ce qui a été abordé au cours de la précédente journée, autour des idées de « faire public », et de « faire ensemble ». Dans sa conférence, l’enseignant chercheur Jacopo Rasmi a tenté de définir la notion de public. Il a notamment évoqué le concept d’« attention conjointe ». Il a plaidé pour « l’instauration d’écosystèmes sociaux et communicationnels post-médiatiques et post-croissance, où il serait possible de concevoir et d’alimenter des publics plus petits, plus proches, plus éphémères, plus imprévisibles, plus réflexifs ». Des écosystèmes où par exemple des spectateurs soient également des programmateurs. Il a également appelé de ses vœux « des sous-politiques culturelles », qui se mènent à côté des habituelles gestions verticales.
Aujourd’hui, la réflexion va se focaliser sur la salle de cinéma, à travers la question de la participation des habitants à la vie et à l’activité de leur cinéma. On parle bien ici d’« habitants », et non de « publics » ou
d’« usagers ». En effet, la question ne concerne pas uniquement les personnes qui fréquentent déjà un lieu, mais plus largement les habitants d’un territoire, au sein duquel la salle de cinéma est un équipement de proximité, dont ils n’ont parfois jamais poussé la porte.
Emeric de Lastens, conseiller pour le cinéma et l’audiovisuel à la DRAC Île-de-France, complète cette introduction.
Il rappelle la spécificité du système français où la salle de cinéma est sacralisée, et soutenue d’un point de vue financier. C’est un écosystème particulier qui constitue une exception dans le champ culturel, dans le sens où les salles de cinéma sont un point de rencontre entre les secteurs privé et public, par le biais du système de prélèvement et de redistribution des taxes qu’impose le CNC.
Les salles de cinéma sont un lieu d’exception mais on a cependant tendance à les considérer uniquement comme des lieux de diffusion, contrairement par exemple aux salles de spectacle vivant qui combinent souvent création et diffusion. Or les salles font pour la plupart un autre travail, moins visible mais remarquable, en parallèle de la diffusion des films.
Au cours des récentes périodes de restrictions dues à la crise sanitaire, les salles indépendantes ont dû réfléchir aux manières de maintenir leur lien avec leur public. Les grands circuits de multiplexes, eux, ont tout simplement fermé. Cette question du lien avec le public, on le voit, est de plus en plus cruciale pour la survie des salles indépendantes. Elle est au cœur de pratiques nouvelles qui sont à consolider ou à inventer.
PRÉSENTATION
Penser un projet de cinéma avec les habitants : les enjeux et les pratiques d’une démarche participative pour la salle de cinéma
par Célia Olivié , directrice et programmatrice du cinéma associatif d’art et d’essai Le Saleys à Salies-de-Béarn (64), est aussi co-présidente du réseau départemental Objectif ciné 64.
Antoine Leclerc présente le travail que mène actuellement Célia Olivié dans le cadre de la formation continue « Direction d’exploitation cinématographique » dispensée par la Fémis. Ce travail, issu d’une enquête de terrain et nourri par des échanges avec les exploitants, constitue un préalable précieux à la table ronde qui va suivre, permettant de mieux appréhender le sujet du jour : la participation des habitants à l’activité des cinémas.
Peut-on identifier aujourd’hui une évolution des pratiques dans le sens de la participation, emportant la conviction de plus en plus de salles ? Dans quelle mesure s’agit-il d’un effet de mode ? Peut-on faire le constat d’une nécessité de se réformer, induite par le contexte de crise actuel ? Beaucoup de questions se posent, auxquelles Célia Olivié va tenter d’apporter quelques éléments de réponse.
Penser un projet de cinéma avec les habitants
Présentation d’un projet de recherche en cours dans le cadre de la formation « direction d’exploitation » de la Fémis (2021-2022)
La thématique de la participation culturelle abordée aujourd’hui est majeure, mais elle est vaste, et parfois abstraite. On ne peut nier qu’elle comporte aussi une dimension utopique, dans le contexte d’un métier, l’exploitation, qui fonctionne sur des schémas anciens encore solidement ancrés.
Comme cela vient d’être dit, la participation culturelle est une notion « tendance » : depuis quelques temps, on en entend parler dans beaucoup de domaines.
La participation est un droit fondamental, inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen ainsi que dans le Pacte des Nations Unies. Mais elle a besoin d’un cadre pour être bien exercée. Il s’agit ici d’apporter une base à la réflexion sur cette notion, pour tenter de dissiper le flou qui l’entoure trop souvent.
Cette étude est encore en cours. Le travail de Célia Olivié n’est pas encore clôturé, ni validé, et l’aperçu qui va en être donné n’est pas exhaustif. La notion de participation est évolutive, mouvante, liée aux enjeux sociétaux du moment. C’est aussi ce qui la rend passionnante.
1/ Contexte
Célia Olivié a souhaité travailler sur ce sujet à la suite de réunions de travail avec l’équipe du cinéma Le Saleys à Salies-de-Béarn, la salle dont elle assure la direction. Lors de ces réunions, il est apparu que la définition du projet de la salle était devenue quelque peu figée. L’équipe ressentait un certain nombre de besoins :
> Questionner ses rapports avec les usagers, mieux connaître les habitants du territoire, pour construire une structure mieux ancrée dans celui-ci.
> S’affirmer en tant que salle de cinéma, reconquérir une identité sur le territoire.
> Interroger la notion d’engagement : l’engagement des usagers de la salle, mais aussi l’engagement des habitants au sens large.
Célia Olivié s’est demandée si ces interrogations étaient partagées par ses collègues exploitants. Quelle place occupait la démarche participative dans la gestion des autres salles ? Comment se matérialisait-elle ?
Cette étude tente de comprendre comment il est possible, via la dimension participative, de faire renaître un rapport physique pérenne entre la salle et ses usagers.
Elle prend en compte l’ensemble des formes que peut revêtir cette participation, à des degrés divers (de la simple information collaborative à la cogestion complète d’une action), en ayant toujours à cœur d’interroger le rôle endossé par chacun, participants et exploitants. Comment l’exploitant peut construire un équilibre entre la responsabilité prise par le participant dans une action donnée, et son propre rôle d’expert ?
Les « habitants » dont on parle, ce sont : les occupants d’un territoire donné, citoyens, adhérents, usagers occasionnels ou éloignés. Un public large, donc, défini par l’ensemble des personnes qui vont contribuer, grâce à leurs usages et représentations, à façonner ce territoire.
NB : Cette étude se concentre sur les rapports entre la salle de cinéma et les habitants. Bien que relevant le travail établi par ces acteurs, elle ne traite pas du cas des circuits itinérants, ni des actions de médiation réalisées par des acteurs dédiés, car de fait la participation est leur leitmotiv.
2/ Situation de la démarche participative dans le secteur de l’exploitation
a/ Première enquête
Célia Olivié a mené une première enquête dans deux directions.
> Le milieu de l’exploitation cinématographique
La notion de participation s’avère peu médiatisée. Il y a un manque de valorisation de la part des médias et aussi des exploitants, un manque d’identification des rôles et objectifs de chacun.
Dans ce contexte, Célia Olivié a souhaité regarder si la question était traitée de la même manière à l’étranger. Elle a relevé trois axes de manifestation de la participation culturelle dans les salles étrangères :
- La participation financière : beaucoup de salles indépendantes trouvent dans la participation une ressource importante de leur financement, notamment aux Etats-Unis où se sont mises en place des stratégies très abouties, portées par une communication efficace : crédit coopératif, crowdfunding, avantages premiums, événements associés à des levées de fonds.
- La constitution de communautés autour des salles, qui viennent autoalimenter cette énergie participative.
- Le sauvetage des salles : exemple du Cinema América Occupado à Rome. Dans ces cas extrêmes, la dimension participative passe par la création de collectifs d’habitants. Elle relève d’une mobilisation citoyenne et politique.
> Les médiathèques et les musées
Ces structures étaient intéressantes à observer car il s’agit de lieux fixes, accessibles, ancrés dans leur territoire, et présents dans la majorité des villes françaises – comme les salles de cinéma. Or, il apparaît que ces structures utilisent et réinterrogent la dimension participative dans leurs stratégies depuis des décennies.
Ainsi, dès les années 1960 a été créé le concept d’éco-musée, qui inscrit dans son ADN même l’implication des usagers et des habitants, définissant pour ces derniers un rôle de collecteurs, d’animateurs, de gestionnaires. Les statuts d’un éco-musée exigent la mise en place d’un comité d’usagers participant aux décisions de gestion et d’orientation de la structure. En outre, leur charte précise que la valeur du témoignage de l’habitant prévaut sur les critères traditionnels de sélection des œuvres.
Les bibliothèques, elles, ont réfléchi à la démarche participative dès les années 1920
pour justifier leur statut de service public. La participation dans les bibliothèques passe par l’association des habitants à la collecte d’objets, par l’incitation au témoignage des savoirs, par une collaboration dans la conception de visites, ou par le co-commissariat d’expositions.
Les bibliothèques n’ont pas cessé de réinterroger cette dimension tout au long des mutations qu’elles ont dû opérer. Aujourd’hui, les habitants peuvent être associés à des réflexions sur les voies de l’innovation, parfois même à la conception architecturale de bibliothèques – plus haut niveau de participation que l’enquête ait pu observer.
B/ Seconde enquête
Après avoir rassemblé ces éléments, Célia Olivié a pris conscience de la nécessité d’affiner davantage son étude et d’entreprendre une deuxième enquête. Elle s’est alors intéressée à la presse régionale, aux sites des communautés de communes, des mairies, des salles de cinémas elles-mêmes afin de répertorier toutes les actions menées. Les réseaux de salles, ainsi que les syndicats professionnels, lui ont également apporté leur expertise et leurs connaissances.
Cette seconde enquête à conduit à un constat global : beaucoup d’actions sont menées dans les salles de cinéma, mais elles ne sont pas assez définies et valorisées. Il y a également un manque d’outils et de mutualisation des savoirs sur la question.
Un point positif : il y a bien une montée progressive de la volonté d’impliquer les usagers dans le métier. Beaucoup de jeunes exploitants intègrent cette dimension dans leur activité lorsqu’ils reprennent une salle. Dans les réseaux et les syndicats, on interroge de plus en plus ces questions. Plus timidement, les appels à projets émis par les institutions commencent à refléter cette réalité.
3/ Enjeux
Dans le cadre de sa seconde enquête, Célia Olivié a mené une dizaine d’entretiens avec des collègues exploitants. Un certain nombre d’enjeux ressortent de ces échanges, cinq d’entre eux seront retenus ici.
> L’enjeu contextuel : pour l’ensemble des interrogés, la dimension participative devient nécessaire dans le contexte actuel. « Il n’est plus question de tendance, mais d’un moyen de se repérer dans un environnement bouleversé où le rapport entre la salle de cinéma et les publics se transforment »
(citation d’un exploitant) . Une enquête datée du 25 octobre 2021 indique que 25% des personnes interrogées craignent encore de se rendre dans un lieu culturel clos. Il s’agit donc de renouer un dialogue et un lien de confiance avec le public. Ce dialogue est envisagé comme triptyque, entre l’exploitant, la salle et l’usager. Les exploitants évoquent également le besoin de mieux cerner les nouvelles pratiques des usagers, afin de mieux comprendre leurs attentes.
> L’enjeu de différenciation : la dimension participative est devenue une stratégie d’affirmation et de diversification face aux cinémas concurrents. Elle pourrait devenir ainsi une plus-value majeure par rapport à la proposition des multiplexes. Même si les salles indépendantes se construisent depuis longtemps comme des lieux de rencontre, le fait d’intégrer la dimension participative dans leur projet même permettrait de passer un cap dans sa valorisation.
Les salles doivent également marquer leur différence par rapport à la montée des pratiques liées au « home cinema » (concept du sociologue Emmanuel Ethis) : diffuser d’autres films que ceux qui sont visibles ailleurs, constituer un troisième lieu, alternatif au foyer personnel et professionnel des usagers. Un lieu qui ne renvoie pas aux conditions sociales des habitants, un lieu exceptionnel qui accueille la création et le partage.
> L’enjeu générationnel : le public d’aujourd’hui est habitué à exprimer son avis sur les réseaux, à prendre une part active dans des communautés. Son rôle de prescripteur et d’ambassadeur est devenu très prégnant. Une enquête de Télérama parue en octobre 2021 a fait ressortir ce besoin de prescription participative chez les 15-25 ans, qui recherchent des voix plus proches d’eux. Il est donc important, d’une part de prendre en compte cette dimension dans les stratégies de communication, et d’autre part d’associer les usagers à ce qui se passe dans les salles, voire de les impliquer dans certaines décisions.
Les spectateurs commencent à ne plus être habitués à voir des films qu’ils n’ont pas « choisis ». Il faudrait donc réfléchir à la manière de les impliquer dans une programmation, ce qui peut être une manière aussi de les éveiller à une expérience différente de celle du « home cinema ».
L’implication des spectateurs à des actions pluridisciplinaires telles que les ciné-games, les concerts participatifs, l’organisation d’événements ponctuels, peut également aider à construire un autre rapport à la salle.
> L’enjeu d’ancrage territorial : l’objectif est ici d’accroître l’attractivité et la dynamique du territoire. Le rapport de Jean-Marie Dura présenté au CNC en 2016 posait l’idée d’un « lieu propice » et avançait que « la salle de cinéma, par son implantation, fait et fera de plus en plus partie intégrante de l’espace public et deviendra un lieu qui fera l’objet d’une appropriation par la population ». Pour cela, le lieu doit être pensé avec les habitants. Certains manques sont évidents dans les salles : pas assez d’espaces de coworking, wifi gratuite aléatoire ou inexistante, peu de lieux alloués à des permanences dédiées à d’autres domaines que le cinéma (AMAP par exemple). La salle doit faire partie d’un projet collectif d’aménagement en intégrant les autres acteurs du territoire, qui pourront ainsi devenir des défenseurs de sa préservation. Quand le dialogue devient compliqué avec une collectivité territoriale qui finance le cinéma, l’existence d’une communauté de soutien peut permettre de le préserver.
> L’enjeu d’ouverture et de modernisation du métier : la dimension participative peut permettre de renouveler des savoirs, de produire de nouvelles connaissances et de mobiliser des compétences très diverses. Du point de vue des participants, elle ouvre également sur l’acquisition de connaissances, mais aussi et surtout à la construction d’une forme de reconnaissance sociale. C’est l’occasion de se réinventer, de réécrire la vision de l’exploitation, d’aller vers une réappropriation des salles par des exploitants plus au fait des enjeux et problématiques de leurs territoires.
4/ Tentative de définition : la notion de participation culturelle
La participation culturelle est un droit culturel du citoyen. Il est cependant essentiel de mieux définir les objectifs d’une telle démarche. Cela passe par un travail d’identification des besoins individuels des usagers et de ceux des exploitants, ainsi que de leurs objectifs respectifs.
> L’enquête a fait ressortir quelques notions clés que l’on peut synthétiser ainsi :
« Identifier et reconnaître l’activité et les ressources culturelles (pratiques, besoins, attentes) de chacun, individuellement ou en groupe ».
« Rendre possible l’expression de chacun, ainsi que sa contribution et sa responsabilité dans la conception et la réalisation d’un projet commun ».
« Permettre à chacun de s’engager dans des activités artistiques collaboratives, où une diversité de savoirs et de compétences est mise en commun ».
> La définition du cadre donné à la participation est essentielle. Sur cette question, voilà ce qui ressort de l’enquête :
- La participation prend son sens dans un lieu mais aussi une démarche qui permettent à chacun de se reconnaître, de s’identifier et d’être identifié. Un lieu vivant et proche, qui est aménagé, dans son espace physique, sa programmation et son organisation RH, pour accueillir la rencontre, le partage et la création.
- Est plébiscitée une démarche participative accessible, suivie, facilitée, guidée, modérée et arbitrée par des personnes ressources identifiées telles que des animateurs, médiateurs, modérateurs.
- Cette participation volontaire peut être généralisée ou organisée en comités de travail ciblés en fonction de l’intérêt, la situation, la tranche d’âge de chacun.
- Elle prend la forme de projets engagés, valorisés et reconnus de tous, qui doivent être représentatifs d’un territoire et des participants, correspondre aux objectifs, aux moyens et aux missions du cinéma dans une atmosphère de travail conviviale, ludique et créative.
5/ Proposition d’échelle participative
Célia Olivié conclut par une « proposition d’échelle participative ». Celle-ci permet à chacun de se situer et de mesurer son action sur le plan de la démarche participative.
PRÉSENTATION
Paroles et portraits d’habitants
avec Séverine Houy, directrice de l’Espace des Arts de Pavillons-sous-Bois (93).
Au cours de la récente période marquée par 300 jours de fermeture forcée, un certain nombre de salles de cinéma ont souhaité garder un lien avec leur public. Elles ont cultivé différentes manières de le faire. Des images notamment ont été filmées, donnant la parole aux spectateurs et manifestant à quel point la salle de cinéma pouvait manquer à ses habitué.e.s. Nous vous invitons à découvrir certains des ces films réalisés à l’initiative des équipes de L’Écran à Saint-Denis, du Cigalon à Cucuron et du Méliès à Montreuil.
D’autres salles n’ont pas attendu la crise sanitaire pour réaliser des films avec les habitants : en témoigne le projet Portraits d’habitant.e.s porté par Yannick Reix, Tristan Sénéchal et Gwenaël Euzen. Après une formation technique, ces trois membres de l’équipe du cinéma Jacques Tati à Tremblay-en-France ont initié une collection de portraits filmés, afin de projeter sur les écrans les visages des habitant.e.s de Tremblay et des communes avoisinantes, et ainsi faire exister la texture, la géographie et l’histoire d’un territoire. Contrairement à ce qui était prévu, ce projet ne pourra pas être présenté lors de cette matinée.
► VOIR LE FILM DE L’ÉCRANVOTRE MEILLEUR SOUVENIR À L’ÉCRAN
► VOIR LE FILM DU CIGALON ALMA
► VOIR LE FILM DU MÉLIÈS SOUVENIRS DE SPECTATEURS – SÉBASTIEN
Un autre projet va donc être évoqué, celui-là né pendant la seconde période de fermeture des salles. Il est porté par Séverine Houy, directrice de l’Espace des Arts aux Pavillons-sous-Bois. C’est un projet original et repose sur l’accueil d’artistes en résidence. Cette pratique commence à se répandre dans les cinémas et apparaît comme un possible vecteur du lien qui peut se tisser entre une salle et les habitants d’un territoire.
L’exemple d’un artiste en résidence : Julien Carreyn à L’Espace des Arts
Séverine Houy, directrice de L’Espace des Arts, précise les contours du projet qui s’est déroulé dans cette salle à l’initiative de Julien Carreyn.
Cet artiste plasticien travaille avec des modèles nus qu’il filme ou photographie dans des endroits incongrus, des images qu’il essaie ensuite de diffuser dans des lieux qui ne sont a priori pas voués à accueillir de l’art contemporain.
Après le premier confinement, et suite à la rencontre d’une modèle qui préparait alors un brevet professionnel de projectionniste, Julien Carreyn a eu l’idée de faire des photographies dans des salles de cinéma. Il a mis en place des prises de vues dans un certain nombre de cinémas dont L’Espace des Arts, puis a montré ces images dans le cadre d’une exposition à Paris. Au moment du second confinement, Julien Carreyn a repris contact avec L’Espace des Arts car ce lieu l’avait intéressé, à la fois pour sa dimension pluridisciplinaire et pour son architecture des années 70, qui témoignait des ambitions pour la diffusion de la culture portée par la mairie. Il souhaitait montrer ses photos de nus dans cette salle, et Séverine Houy lui a donné son accord.
À partir du mois de janvier 2021, Julien Carreyn s’est joint aux réunions de l’équipe de L’Espace des Arts, qui avait pris l’habitude de se retrouver tous les jeudis pour maintenir le contact en cette période de confinement, et travailler sur la gestion de la salle. Il a fait venir des modèles, d’autres photographes, générant une petite ébullition qui s’est avérée salvatrice pour la santé morale de l’équipe.
On pouvait voir les modèles évoluer sur la scène, derrière l’écran, dans les sous-sols, transformant L’Espace des Arts en un lieu étrange et fantomatique. Julien Carreyn a également sollicité les membres de l’équipe qu’il a photographiés (habillés) dans divers endroits du cinéma. À ce travail plastique, Julien Carreyn a associé uneromancière avec laquelle il avait eu l’occasion de travailler sur des livres d’art, Amélie Lucas-Gary.
Il se trouve qu’au même moment l’appel à projets « L’image et le territoire » a été lancé par Cinémas 93 avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis. L’équipe de L’Espace des Arts y a immédiatement répondu : ce que Julien Carreyn avait mis en place au sein de la salle cadrait parfaitement avec l’intitulé. Comme l’appel à projets demandait que les habitants du territoire soient intégrés à une démarche artistique, après discussion avec Julien Carreyn et Amélie Lucas-Gary, il a été proposé aux spectateurs familiers de la salle de venir se faire photographier dans les lieux. Pour l’équipe, cela a été l’occasion de communiquer sur autre chose que les reports de spectacles dus à l’épidémie .
Les prises de vue avec les spectateurs ont été faites sur rendez-vous entre les mois d’avril et juin 2021. Des bénévoles, des spectateurs fidèles, des élus de la ville ont répondu à l’appel. Au total, le travail de Julien Carreyn à L’Espace des Arts représente plus de 300 photos.
Des rencontres sont organisées en ce moment-même pendant le Mois des images du Département de la Seine-Saint-Denis. L’une d’elle a eu lieu à la bibliothèque de Pavillons-sous-Bois avec Amélie Lucas-Gary et Julien Carreyn, qui ont pu présenter leur démarche. Des ateliers de pratique artistique sont également prévus avec les deux artistes : un atelier d’écriture et un atelier photo. Enfin, une exposition se tiendra sur quatre jours au sein de L’Espace des Arts, sur rendez-vous, en partie dans la galerie d’exposition et en partie dans les coulisses de la salle. En effet Julien Carreyn souhaite exposer ses photos dans les lieux mêmes qu’il a explorés, des lieux auxquels le public ne peut habituellement pas accéder.
Cette exposition sera aussi visible en ligne sur le site de la galerie Crèvecœur dans le 20ème arrondissement de Paris, avant l’édition d’un livre, L’Espace des Arts (éditions Nero), qui comprendra une sélection d’une cinquantaine de photographies, et qui sera diffusé en 500 exemplaires dans les musées du monde entier. Enfin, un autre livre sera édité avec les textes d’Amélie Lucas-Gary, bientôt disponible en librairie.
TABLE RONDE
Des habitants à la salle, de la salle aux habitants : la participation des habitants à la vie et à l’activité des cinémas
Open-screens ouverts à la création du territoire, réseau de jeunes ambassadeurs,comités de programmation, cinémas coopératifs ou autogérés : l’implication des habitants prend de multiples formes dont il sera présenté quelques exemples.
Nicolas Bras, membre du collectif du Nova, à Bruxelles
Mathieu Lagardère, directeur du cinéma L'Étoile à Saint-Médard-en-Jalles et vice-président de l’ACPG (association des cinémas de proximité de Gironde)
Catherine Melet, présidente des cinémas Studio à Tours (Indre-et-Loire)
Clémence Renoux, directrice et programmatrice du Cigalon à Cucuron (Vaucluse)
Antoine Leclerc introduit cette table ronde consacrée à la participation des habitants à l’activité et à la vie des cinémas. Comités de programmation, réseau de jeunes ambassadeurs, cinémas coopératifs ou autogérés, open-screens ouverts à la création du territoire : autant de formes que peut prendre l’implication de ces habitants, et dont les intervenants vont présenter quelques exemples.
Diffusion de films et action sociale : le Cigalon à Cucuron (Vaucluse), une salle entièrement portée par les habitants
Clémence Renoux est directrice programmatrice du cinéma Le Cigalon à Cucuron, un village de 1800 habitants situé dans le Luberon. C’est une salle mono-écran qui fonctionne sur sous une forme associative.
En 2013, la salle de cinéma de Cucuron, qui existait depuis 40 ans, annonçait sa fermeture. Un collectif d’habitants du village s’est alors mobilisé pour monter une association dans le but de la sauvegarder. Dès sa création, le projet du Cigalon a donc été pensé par et pour les habitants. Ils sont directement impliqués dans la gestion de la salle, et voient en retour leurs attentes directement prises en compte. Ce projet constitue aujourd’hui un vecteur de lien social dans le village, d’animation et de rencontres.
Les membres du collectif à l’origine du projet étaient issus de milieux professionnels divers, tous intéressés par le cinéma, mais aucun du métier. Ils l’ont appris sur le terrain, avec l’aide de certains exploitants de la région, notamment concernant les aspects techniques.
Rapidement, l’association du cinéma Le Cigalon a répondu à un appel à projets de la Fondation de France intitulé « Emploi et territoire ». L’objectif était de créer un emploi de Chargé.e de développement autour d’un projet porté par les membres de l’association : un projet de création documentaire impliquant différentes générations du village. Ce projet s’est concrétisé : il s’agit des Chroniques de Cucuron. Tournées chaque année depuis 7 ans, elles mettent en scène des enfants et adolescents allant à la rencontre des anciens du village pour récolter des témoignages sur des thématiques précises. Ces chroniques sont un prétexte à des rencontres intergénérationnelles, un moyen de garder une trace de la mémoire des anciens, tout en faisant de l’éducation à la création documentaire. Les habitants qui y sont impliqués ne sont pas forcément des spectateurs de la salle de cinéma.
Les adhérents bénévoles du cinéma Le Cigalon sont également impliqués dans la vie de la salle par le biais de comités de programmation. Ils accueillent le public, et participent à la projection pour ceux qui s’y sont formés.
Le Cigalon est titulaire du label « Espace de vie sociale », délivré par la Caisse des Allocations Familiales du Vaucluse. Pour obtenir ce label il faut être une association qui implique les citoyens dans son activité. Il faut également travailler à établir un diagnostic de territoire : cerner les attentes des habitants, afin de leur apporter une réponse adéquate. L’équipe du cinéma a donc travaillé sur cette question pendant un an, en allant à la rencontre des habitants, qu’ils soient ou non familiers du Cigalon, et d’autres associations du territoire
Il s’agissait de recueillir leurs points de vue et de les confronter à l’activité du Cigalon. Cette enquête a été présentée en commission, à l’issue de laquelle la CAF a accordé à l’association le label « Espace de vie sociale » pour 3 ans, reconductible une fois. Outre le financement qui accompagne ce label, cette expérience a permis à l’équipe de prendre du recul par rapport à son activité et de structurer celle-ci. Le poste de chargé.e de développement créé suite à l’appel à projet de la Fondation de France a pu aussi être reconduit.1
Les Cinémas Studio (Tours) : un cinéma associatif animé par ses membres actifs et impliqué dans des projets participatifs
Catherine Melet est présidente de l’association qui gère les Cinémas Studio à Tours. C’est l’une des salles art et essai les plus importantes de France : 350 000 entrées en 2019, une vingtaine de salariés, entre 70 et 100 bénévoles impliqués selon les années. Comment voit-elle cette question de la participation des habitants ? Les Cinémas Studio est un exemple intéressant non seulement parce qu’il s’agit d’un cinéma associatif dont le fonctionnement repose sur le travail de ses membres actifs au sein de commissions, mais aussi parce qu’il entreprend de nombreux projets participatifs.
Les Cinémas Studio sont nés d’une initiative associative menée par un prêtre ouvrier en 1963. Le ciné-club des débuts est devenu une salle de sept écrans, qui aujourd’hui brasse beaucoup de projets et programme en moyenne 550 films par an.
La mise en œuvre des nombreux projets participatifs soumis à l’association représente un gros travail d’arbitrage. Toutes les décisions sont prises en s’appuyant sur le travail des commissions constituées par les membres actifs. Ces décisions concernent la programmation de la salle (générale et jeune public), sa gestion économique (en collaboration étroite avec le comptable des Studio), la mise en place d’actions culturelles, la communication avec les usagers et l’événementiel.
Ce fonctionnement est tout à fait exceptionnel, si l’on tient compte de l’envergure des Cinémas Studio. De petits cinémas associatifs fonctionnent parfois de cette manière. Mais il s’agit ici du plus grand cinéma associatif européen par sa fréquentation.
Un fonctionnement qui n’en est pas moins à perfectionner, à questionner. À l’issue de l’année 2019, l’association a fait le constat d’une crise de croissance : la fréquentation du cinéma était arrivée à un point de stagnation, et son modèle économique était peut-être à repenser. Il y a un besoin de structurer, de faire des choix, et la crise sanitaire a accéléré cette réflexion.
Un autre besoin se fait sentir dans la manière de faire travailler ensemble les salariés du cinéma (une vingtaine) et les bénévoles de l’association. L’adhésion à l’association reposant depuis longtemps sur un système de cooptation, les bénévoles viennent d’un horizon socioculturel assez uniforme. Questionner ce système pourrait aider à insuffler une nouvelle énergie.2
CaMéo, un réseau départemental de jeunes ambassadeurs (Gironde)
Mathieu Lagardère s’occupe depuis une dizaine d’années d’un cinéma à Saint-Médard-en-Jalles, commune de 31 000 habitants située en Gironde. L’Étoile est un cinéma de trois salles dont une est partagée avec une salle de spectacle. Elle accueille environ 85 000 spectateurs par an. Mathieu Lagardère anime également un réseau départemental, Artec Cinémas, qui exploite et programme une douzaine de salles municipales en Gironde. Il est enfin vice-président de l’ACPG, l’Association des Cinémas de Proximité en Gironde, créée en 1994 dans le but d’aider les municipalités à faire face à l’expansion des multiplexes dans le département (à titre d’exemple, il y a 43 salles UGC dans la seule ville de Bordeaux). L’ACPG a débuté avec une douzaine de salles et en compte aujourd’hui 27. Sa mission est de mutualiser les actions des salles et de mettre en place des actions de médiation culturelle dans le réseau.
Mathieu Lagardère note pour commencer que, selon lui, l’implication des spectateurs existe en réalité dans beaucoup de salles : cela commence à la caisse, par exemple lorsqu’un spectateur vient poser des questions sur la programmation. Prendre le temps d’écouter ces spectateurs, à l’entrée et à la sortie de la salle, c’est déjà les impliquer.
L’ACPG a inventé un label illustré par un logo, CaMéo, destiné aux 12-20 ans. Au départ il s’agissait simplement d’identifier des films de la programmation susceptibles d’intéresser cette tranche d’âge. Lors de la première année de la mise en place de ce label, un festival s’est déroulé dans les salles de Sud Gironde, regroupant tous les films qui avaient été labellisés CaMéo. Cette première édition a été un succès, et le principe a depuis été étendu à toutes les salles du département.
Chaque salle a des ambassadeurs qui choisissent, parmi une sélection proposée par l’ACPG, un film qu’ils souhaitent défendre dans leur cinéma, en les accompagnant d’une animation qu’ils ont la mission d’imaginer et de mettre en place. Cela fonctionne si bien qu’aujourd’hui, ce sont eux qui soumettent leurs sélections de films à l’association.
Pour permettre à ces jeunes spectateurs de voir des films, l’association a créé des partenariats avec des festivals (FIBIB, Cannes, les Vendanges du 7èmeArt de Pauillac) auxquels ils peuvent accéder avec accréditation et défraiement. Ils sont ainsi considérés comme des professionnels et se sentent investis. Certains se dessinent un avenir professionnel dans le milieu de l’exploitation. L’association en embauche quelques-uns, qui ont débuté lorsqu’ils étaient au collège comme médiateurs pendant l’été. Des plateformes Twitch, des émissions Instagram ont été créées par ces jeunes médiateurs pour nourrir l’animation autour des films.
Cette initiative est née d’une intuition, celle de la nécessité de proposer à un public dont on dit qu’il n’est plus intéressé par le fait d’aller au cinéma, autre chose qu’un simple film à l’écran : l’opportunité de s’investir personnellement dans le travail d’une salle de cinéma, et de bâtir un projet. Le label CaMéo qui a été largement soutenu par le département fonctionne aujourd’hui quasiment en autogestion. La région Nouvelle-Aquitaine s’y intéresse, et souhaiterait le développer autour de la promotion du court-métrage.3
Une consultation des habitants sur la salle de demain
Les habitants doivent pouvoir connaître comment fonctionne un cinéma, être au fait du vocabulaire de l’exploitation. C’est ainsi qu’un dialogue et une vraie collaboration deviennent possibles.
Récemment, Mathieu Lagardère a lancé un débat avec les spectateurs de L’Étoile sur la question de l’existence des salles de cinéma dans le contexte actuel de prolifération des plateformes. Dans l’hypothèse où la chronologie des médias serait bouleversée, c’est à dire où un film sortirait le même jour en salle et sur une plateforme, qu’est-ce qui est susceptible de pousser le public à se déplacer ? Les spectateurs ont fait part de leurs attentes : une vraie plus-value apportée par les salles sur tout ce qui a trait à l’accompagnement des films, l’animation, le hors film ; et l’importance de l’architecture du lieu, autrement dit le besoin que soit sacralisée l’expérience de voir un film.
L’ACPG est en train de récolter la parole des spectateurs des cinémas de Gironde sur la question des cinémas de demain et des futures pratiques, dans le but d’éditer un livre blanc qui servira de guide pour les années à venir. L’École nationale d’architecture de Bordeaux s’est intéressée à ce projet : des étudiants réfléchissent notamment à la conception d’un cinéma idéal, à taille humaine, en centre ville. Mathieu Lagardère donne l’exemple du cinéma L’Atalante à Bayonne, dont la restructuration a participé à rebâtir la vie de tout un quartier.
Un cinéma alternatif autogéré : le Nova à Bruxelles
Nicolas Bras revient sur l’histoire du cinéma Nova, une salle créée et gérée de bout en bout par les habitants. Son activité a débuté en 1997. Le lieu est une ancienne salle de spectacles datant du début 20ème siècle, devenue par la suite un cinéma d’art et d’essai très identifié à Bruxelles, le cinéma Arenberg. Dans les années 80 une banque a souhaité racheter le bâtiment dans le cadre d’un projet immobilier, mais celui-ci n’a pas abouti et la salle est restée à l’abandon pendant 15 ans. C’est assez représentatif de l’histoire de l’exploitation indépendante à Bruxelles : pendant longtemps, le réseau de salles a été assez dense, puis il s’est progressivement appauvri pour aujourd’hui se réduire à 5 ou 6 cinémas.
En 1996, un groupe de militants a commencé à s’intéresser à ce lieu. Une activité de ce groupe consistait en effet à projeter des films dans des lieux qui témoignaient d’une réalité urbaine inconnue du public. L’ancien cinéma Arenberg offrait la possibilité, en plein centre ville, de diffuser des films qui ne seraient ni des films d’exploitation ni des films de patrimoine : des films hors circuits. La configuration du lieu, en tant qu’ancienne salle de spectacles, permettait aussi de faire des concerts, des performances, et d’organiser des rencontres autour d’un bar.
Le collectif s’est donc lancé pour un projet de 2 ans, fonctionnant sur le bénévolat. À l’époque la vie culturelle bruxelloise était encore en friche, beaucoup de choses étaient possibles. Le Nova a vite été identifié comme un phare dans le milieu underground.
L’expérience s’est prolongée et dure maintenant depuis 25 ans. Le fonctionnement a connu quelques modifications mais repose toujours sur un collectif bénévole. Un seul salarié à mi-temps : le comptable. Pour le reste, un système de salaires à tiers-temps « tournants » a été mis en place. Ces salaires tournants sont avant tout considérés comme un soutien au bénévolat, qui reste une base essentielle de la philosophie de la salle.
Le Nova est ouvert en soirée du jeudi au dimanche. 25 à 30 personnes font tourner la salle au quotidien, sur un ensemble de bénévoles qui représente 150 à 200 personnes. La salle continue d’accueillir de nouveaux adhérents, parmi les étrangers notamment, qui trouvent là un point d’ancrage pour s’investir dans la vie culturelle de la ville.4
L’ouverture à la création : les « open screen »
Les open screens constituent une tradition indéboulonnable du Nova depuis ses débuts. Ces séances se tiennent environ tous les deux mois le jeudi soir, et cela depuis 25 ans. Le principe : n’importe qui peut proposer un film qu’il souhaite montrer en public. L’équipe du Nova s’engage à le projeter. Ni sélection ni censure, le seul critère est celui de la durée, moins de 15 minutes.
C’est une fenêtre totalement libre, un moyen de montrer des images et des formats extrêmement divers, de faire se rencontrer des publics venant d’horizons très variés. Cette démarche rencontre une vraie demande, côté création comme côté public. Elle exige aussi un gros travail de suivi.
Questions du public
Faut-il ouvrir la participation des habitants à l’activité des salles sans restriction, ou l’accompagner dans un cadre balisé ?
Catherine Melet approuve cette question qui pointe la problématique de toute démarche participative. Dans le cas de la participation du public à la programmation d’un cinéma, on peut se demander où placer les limites. D’un côté, jusqu’à quel point faut-il imposer ce que les professionnels de la programmation considèrent comme le « vrai » cinéma ? De l’autre, où commence le clientélisme ? Une solution possible réside dans la mise en réseau de la salle de cinéma avec des lieux annexes : une autre salle par exemple, qui pourrait accueillir une programmation spéciale faite par les habitants, éventuellement avec des propositions plus d’avant-garde.
Clémence Renoux prend la parole. Dans le cas du Cigalon, un comité de programmation composé des bénévoles de l’association se réunit une fois par semaine. Au départ, ce comité programmait des films pour la salle, mais des difficultés sont apparues : il n’était pas toujours simple de faire accepter par tous certaines contraintes de programmation, liées aux exigences des distributeurs ou au statut de mono-écran de la salle. La programmation par les bénévoles a donc été redirigée vers les ciné-clubs, où sont montrés des films de patrimoine, et vers les « ciné-soupes », où sont projetés des documentaires suivis d’un débat. Les habitants ont donc leurs propres fenêtres de programmation dans des soirées qui entrent dans la programmation globale du cinéma, et dont ils sont les ambassadeurs.
Mathieu Lagardère revient sur les motivations qui les ont poussés lui et son équipe à impliquer les habitants dans leur activité : l’impression de travailler dans un entre soi, de ne plus avoir de regard critique sur leur travail, d’être déphasés par rapport aux attentes de la population. Impliquer les habitants permet d’avoir une nouvelle vision de son propre métier. Le piège est que les nouveaux arrivants tombent à leur tour dans une routine, qu’ils se comportent malgré eux comme des professionnels de la profession… Il faut donc se préparer à renouveler cette nouvelle génération. Sachant que ce mouvement est très récent : on manque encore de recul pour apporter toutes les réponses.
Dans la mise en place d’une action participative, comment gérer les différentes temporalités ? La temporalité des citoyens qui ont des idées et qui attendent qu’elles se mettent en place rapidement, et la temporalité de la salle de cinéma qui doit composer avec de nombreux éléments inhérents à la lourdeur d’une telle structure, surtout lorsqu’il s’agit de cinémas publics en régie directe.
Mathieu Lagardère donne l’exemple de l’expérience CaMéo. Les lycéens connaissent les créneaux auxquels la salle est disponible pour les accueillir. Autrement, les échanges se font par mail ou au téléphone. Ils ont appris à connaître les contraintes et les délais qui sont liés à la mise en place d’un projet. Ils savent que, s’ils ont une idée, il faut la présenter un bien en amont. Ils se sont adaptés à la temporalité de la salle. L’inverse n’aurait pas été possible.
Célia Olivié ajoute que, lors de l’enquête qu’elle a mené dans les bibliothèques et médiathèques, établissements municipaux dans la majorité des cas, elle a pu constater que l’organisation des calendriers était totalement transparente : les plannings sont construits en concertation avec les habitants. Des outils pratiques communs sont même conçus dans ce sens, prévoyant une charte, des fiches de cadrage, des fiches de vocabulaire professionnel, afin que tous avancent ensemble dans la construction d’un projet donné.